SIA-Aulnay : le syndicat jaune a pris des couleurs

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

Ce samedi matin, des salariés de PSA emmenés par le syndicat SIA ont brièvement pénétré dans le Salon de l'automobile, qui ouvrait ses portes, pour sensibiliser les visiteurs à l'avenir du site PSA d'Aulnay. Rien que de plus classique pour n'importe quel syndicat, mais une grande nouveauté pour le Syndicat indépendant de l'automobile.

De fait, la bataille pour la sauvegarde des emplois à Aulnay constitue un baptême du feu pour le SIA qui s’engage dans son premier vrai mouvement social, contre le patronat et aux côtés des autres syndicats de l’usine. Le SIA participe aux actions syndicales depuis la révélation du plan de fermeture du site d’Aulnay en juin 2011. Une participation qui donne un poids certain aux actions des salariés : avec un tiers des voix lors des dernières élections professionnelles, le SIA est le premier syndicat de l’usine d’Aulnay-sous-Bois, devançant de quelques voix son ennemi juré de jadis, la CGT.

Dans l’adversité, des unions parfois contre nature comme celle-ci s’imposent. Le « syndicat maison » de PSA, soutenu de tout temps par la direction et les pouvoirs publics de droite, défile depuis un an aux côtés de l’ouvertement trotskyste CGT d’Aulnay. « On ne peut pas faire autrement que d’être tous unis. Notre intérêt à nous, c’est celui des salariés et cela consiste à garder nos emplois, affirme Tanja Sussest (prononcer “Tania”), la déléguée syndicale SIA de l’usine d’Aulnay. Certes, on n'est pas d’accord sur tout, mais on est d’accord sur l’essentiel : aucun salarié au Pôle emploi. » « Si l’usine ferme, le SIA disparaît aussi, explique Philippe Julien, délégué CGT de l’usine. Ils ont tout intérêt à aller le plus loin possible. »

Tanja Sussest - 13 septembre 2012Tanja Sussest - 13 septembre 2012© Simon Castel

Aujourd’hui, malgré l’unité syndicale affichée, un « SIA, CIA », témoin du passé sulfureux du syndicat, échappe parfois encore de la bouche de certains ouvriers. Car le syndicat traîne derrière lui une réputation d’officine jaune, à la botte de la direction. 

Le SIA trouve ces racines après la seconde guerre mondiale. En 1949, la Confédération générale des Syndicats indépendants (SGSI) est créée par des soutiens au général de Gaulle. Elle recycle des anciens communistes déjà reconvertis par le régime de Vichy. Son premier secrétaire est Sulpice Dewez qui avait voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940, avant de retourner sa veste et de rejoindre la résistance. Il a pour adjoints Martin Leymarie, proche de René Belin, ministre du travail de Pétain, et Manuel Bridier, membre du tout jeune RPF. L’objectif à l’époque est déjà fixé : faire barrage au PCF, alors premier parti de France, et à son bras armé dans les entreprises, la CGT. Le SGSI prend ses quartiers à la mairie de Paris et à La Poste.

De scissions en regroupements et dispersions (voir sous l'onglet Prolonger), la CGSI accouche en 1959 de la Confédération française du travail (CFT) dont le secrétariat général tombe entre les mains d’un autre ancien communiste qui s’était lui aussi rallié à Vichy, André Parsal. La nomination, puis l’élection du général de Gaulle au poste de chef de l’État, conforte le syndicat et les fonds publics secrets abondent.

La CFT sert de prête-nom au Service d’action civique (SAC), milice de choc du général de Gaulle créée par Charles Pasqua et Jacques Foccart en 1960, pour s’implanter et casser les grèves dans les entreprises, avec la bénédiction du patronat. Dès la création de l’usine d’Aulnay-sous-Bois en 1973, la CFT s’installe durablement et joue le rôle, dans les ateliers, de mercenaire de la direction. Chez Renault, la CFT n’a jamais pu s’implanter, la résistance de la CGT étant trop forte.

« Table rase du passé »

Entre 1960 et 1977, on retrouve la CFT sur les piquets de grève, non pas pour porter le drapeau rouge mais pour casser du cégétiste. Cette guerre ouverte atteint son paroxysme avec l’assassinat, le 4 juin 1977, à Reims, d’un gréviste CGT de l’usine Citroën des verreries mécaniques champenoises. Le patron, un certain Maurice Papon, fit appel aux commandos de la CFT pour déloger les grévistes. Sur les cinq personnes interpellées, quatre faisaient partie du syndicat CFT et, parmi eux, le tireur était membre du Service d’action civique. On ne pouvait mieux justifier le sobriquet de« nervis du patronat », qui a cours encore aujourd’hui.

Face au scandale, la CFT se dissout et se transforme en Confédération des syndicats libres (CSL). Le CSL tâche de faire oublier ses anciennes méthodes para-militaires mais n’en demeure pas moins un cheval de Troie fiable pour les patrons. Il entreprend ainsi de casser les grandes grèves dans l’automobile de 1982 et s’en prend aux leaders cégétistes du mouvement, sans toutefois faire un usage démesuré de la force. Cette grève, qu’on appelle « le printemps de la dignité », permit aux militants de la CGT, alors clandestins, d’obtenir droit de cité chez PSA. 

Si les connivences entre la CSL et la direction de PSA ne sont un secret pour personne, elles éclatent au grand jour en 1999. Cela se passe dans l’usine Citroën de la Janais, à Rennes. L’inspection du travail y découvre que la direction arrose à coups de déjeuners et d’heures supplémentaires les syndiqués CSL. Plus grave, elle révèle l'existence d'emplois fictifs au bénéfice de trois syndicalistes. À l’époque, la CSL perd son statut de syndicat représentatif dans l'usine, faute d’indépendance.

Le coup de grâce vient de la mairie de Paris qui avait pris l’habitude d’abonder en fonds secrets la CSL. Avec l’arrivée du socialiste Bertrand Delanoé en 2001, les robinets sont coupés, plongeant le syndicat dans le marasme financier.

En déliquescence, la CSL décide donc, une nouvelle fois, de changer de visage et accouche en 2002 d’un nouvel avatar : le Syndicat indépendant de l’automobile. Sans pour autant prendre part aux grèves, le SIA a manifestement changé de stratégie. Serge Maffi, délégué central pour le groupe PSA et membre de la CSL – puis du SIA – depuis 1992, assure que le syndicat a fait « table rase du passé » et ne tient plus à évoquer cette période. « Le SIA subit son histoire, des syndicats malveillants sont là pour la lui rappeler », déplore-t-il. « Je connais le passé du syndicat et je ne le nie pas », affirme de son côté Tanja Sussest, la déléguée syndicale d’Aulnay. Sur le site de la région parisienne, les méthodes de “nervis” n’ont plus cours et on ne se confronte plus physiquement à la CGT depuis des années.

Mais le SIA s'oppose toujours à une CGT montante à Aulnay. Lorsque la CGT et Sud lancent une grève pour les salaires en 2007, le SIA affirme haut et fort son désaccord, tout en refusant d’être un casseur de grève. « On n’a pas participé à la grève et, chose importante, on n’a pas remplacé les grévistes, affirme Tanja Sussest. Par contre, on a fait en sorte que ça se passe bien sur le terrain. On était le tampon entre grévistes et non-grévistes. »

« Être responsables »

« Je dirige l’équipe syndicale depuis 2006 et ce ne sont pas des gens comme il a pu y en avoir dans les années 70, poursuit Tanja Sussest, détaillant comment le SIA a changé. En 2002, quand j’ai commencé à être déléguée, on ne nous demandait pas notre avis. On nous annonçait qu’on avait signé tel ou tel accord, c’est tout. Le chef de la section décidait avec un tout petit groupe. Aujourd’hui, ça a changé, on décide tous ensemble. »

L'adhésion de Tanja Sussest au SIA est due au hasard. Embauchée en 1994, grâce à un membre de sa famille syndiqué au SIA, elle y adhère deux ans plus tard. « Cela me semblait logique d’adhérer au SIA. Quand vous arrivez, vous n’y connaissez rien aux syndicats. C’était ma façon de remercier celui qui m’avait fait rentrer. » Dix ans plus tard, en 2005, Tanja Sussest est élue à la tête du comité d’entreprise. Elle est ré-élue grâce au soutien de la CGC en 2010.

Depuis l’annonce officielle, en juillet 2012, de 8 000 suppressions de postes, dont 3 000 à Aulnay avec la fermeture de l’usine, le SIA ne mâche plus ses mots à l’encontre de la direction.« Ce que pense la direction, je m’en fiche. Je ne suis pas là pour leur faire plaisir, assure Tanja Sussest. C’était important de réunir l’intersyndicale, insiste-t-elle. Ce n’est qu’en étant réunis en intersyndicale qu’on arrivera à faire bouger les choses. Si on est tous unis, qu’on a tous les mêmes positions devant la direction, ils n’auront pas le choix. Si chacun d’entre nous propose son truc dans son coin, ils feront ce qu’ils veulent, surtout quand on sait que leur devise c’est “diviser pour mieux régner », conclut-elle.

Manifestation du 13 septembre 2012Manifestation du 13 septembre 2012© Simon Castel

Le SIA serait-il devenu une autre épine dans le pied des patrons ? À Aulnay, le discours est forcément plus musclé mais, au niveau central, le SIA tempère : « Il aurait été très maladroit de ne pas participer au mouvement, analyse Serge Maffi. Mais il y a deux approches : brûler des palettes et demander qu’Aulnay ne ferme pas ou être responsables et, comme le rapport Sartorius l’a confirmé, accepter qu’il faille dégraisser à PSA. »

Le syndicat, s’il fait cause commune avec les autres organisations présentes à Aulnay (CGT, Sud, FO, CFDT, CTFC, CGC), garde effectivement des positions parfois à contre-courant de celles de ses homologues. Ainsi, alors que la CGT et Sud disent se battre contre la fermeture du site, le SIA pense déjà aux reclassements et enterre l'usine. « La revendication est louable, explique Tanja Sussest.Mais aussi bien Arnaud Montebourg que François Hollande nous ont expliqué que PSA étant une entreprise privée, qu'ils n’avaient pas le pouvoir d’interdire légalement la fermeture. Donc je me dis qu’aujourd’hui, c’est un autre combat qui commence, celui de la sauvegarde des emplois. S'il y a une solution, si on me dit que l’État ou quelqu'un d'autre peut empêcher la fermeture du site, il pourra compter sur le SIA. »

Le SIA ne se refuse pas non plus de faire cavalier seul sur certaines actions. Alors que l’assemblée générale des salariés du 11 septembre 2012 vote une action au salon de l’auto le 9 octobre (la CGT ayant prévu de réunir des salariés de plusieurs entreprises ce jour-là), le SIA va manifester le 29 septembre. « Moi je m’en fiche,assure Tanja Sussest, je n’ai pas d’union départementale. Ma priorité et mon souci, c’est Aulnay. L’intérêt d’Aulnay, c’est d’aller au salon de l’auto, là où on pourra le plus faire chier la direction, c’est-à-dire le jour de l’ouverture. »

« On ne veut pas casser le dialogue avec la direction »

Sur le terrain, la grande gueule de Tanja Sussest emporte l’adhésion d’une bonne partie des grévistes. Si elle se fait moins applaudir que Jean-Pierre Mercier, délégué central CGT devenu, au fil du temps, un très bon orateur, rompu aux luttes sociales, la déléguée syndicale ne se laisse pas faire et le prouve, comme sur le plateau du Grand journal de Canal+ où, invitée le 12 septembre, elle interpelle la porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem : « On a l’impression que monsieur Montebourg, il nous joue de la flûte et que le président, c’est un vendeur de rêve. »

Ajouté au fait que la CGT est perçue par beaucoup comme une cellule de Lutte ouvrière, ce franc-parler a sans doute permis au SIA de limiter la casse lors des dernières élections professionnelles de 2010, le syndicat ayant nettement moins perdu de terrain que sur les autres sites PSA. Le SIA reste le premier syndicat de l’usine d’Aulnay, même si parmi les ouvriers et les employés, la CGT l'a devancé de 50 voix. À Rennes, la CGT récupère les 13 % perdus par le SIA chez les ouvriers et devient le premier syndicat de l’usine. À Sochaux, avec 7 % des voix, le SIA n’est même plus représentatif. Selon Serge Maffi, délégué central du SIA, cette érosion est due à une radicalisation des salariés. « Dans l’esprit de beaucoup de personnes, la CGT manifeste et défend. Mais obtiendra-t-elle plus que nous ? J’en doute. » Quand on lui demande ce qu’a obtenu le SIA, la réponse se veut prospective :« ce que Tanja arrivera à imposer, grâce à son opiniâtreté... ».

Avec une influence qui s’érode, l’alliance SIA-direction perd de son efficacité. Mais, tant sur les autres sites du groupe PSA qu’au niveau central, les liens étroits qu’entretenait la direction avec le SIA ont tenu bon. Par exemple, à l’usine rennaise de la Janais, en décembre 2010, les élus SIA du comité d’entreprise s’abstiennent quand on leur demande de voter pour ou contre le licenciement d’un de leurs “camarades” délégué CGT, prononcé par la direction. Dans l’usine de Trémery en novembre 2010, la direction soutient le SIA, lui donnant sa voix pour qu’il conserve la direction du comité d’entreprise, alors qu’il n’était plus majoritaire. L’événement embarrasse Serge Maffi, le délégué central PSA qui est aussi le délégué du site de Trémery. « La direction a voté contre ceux qu’elle ne voulait pas voir à la tête du CE, la CGT et Sud », finit-il par expliquer.

D’ailleurs, contrairement aux délégués syndicaux de l’usine d’Aulnay qui, depuis l’annonce de la fermeture, n’ont eu aucune nouvelle de leur direction, Serge Maffi affirme qu’il a des« rencontres régulières avec Philippe Varin ou Denis Martin (le directeur industriel) qui n’a jamais refusé le dialogue. On peut dire ce qu’on veut à la direction et à chaque fois qu’on demande à voir le président, on le voit », explique-t-il. Le SIA tient à conserver sa proximité avec les hautes sphères du groupe : « On ne veut pas casser le dialogue avec la direction, ce serait ne plus avoir d’interlocuteurs. » La direction de PSA pourra manifestement compter sur le SIA pour négocier le plan de licenciement, là où la CGT et Sud réclament sa suspension et se disent prêts à tout en ce sens.

Publié dans Social

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article