Santini et Devedjian : le mandat de trop ?

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

« Offrez-lui une retraite même si elle n'est pas méritée. » C'est le slogan qui court dans la dixième et la treizième circonscription des Hauts-de-Seine (92) à quelques jours du premier tour des élections législatives. Il vise deux vieux barons sarkozystes, deux septuagénaires (ou quasi) que ni le grand âge ni le cumul des casquettes ne freinent dans la course aux mandats : André Santiniet Patrick Devedjian.

André Santini (au centre) le 6 mai 2012 au conseil général des Hauts-de-SeineAndré Santini (au centre) le 6 mai 2012 au conseil général des Hauts-de-Seine© Rachida El Azzouzi

Le premier, 71 ans, maire d'Issy-les-Moulineaux depuis 1980, député depuis 1988 (sauf entre avril 2001 et juin 2002 ainsi qu’entre 2007 et 2009), verrouille la dixième circonscription (Issy-les-Moulineaux, Vanves, Boulogne Sud-Meudon). Il est aussi président du SEDIF, le syndicat des eaux d’Ile-de-France depuis 1983, président du conseil de surveillance de la société du Grand Paris depuis juillet 2010, président du syndicat mixte de l’île Saint-Germain, fondé par Pasqua, qui lui vaut d’être renvoyé devant le tribunal correctionnel en octobre prochain pour « prise illégale d’intérêt » dans l'affaire de la fondation Hamon.

Patrick Devedjian, 67 ans, ancien ministre, actuel président du conseil général depuis 2007, quatre mandats successifs à la mairie d'Antony, peut-être un huitième en tant que député le 17 juin, cadenasse la treizième (Antony, Bourg-la-Reine, Châtenay-Malabry, Sceaux) depuis 1988.

Au fil des décennies, les deux vieilles gloires RPR ont fait de la politique leur beurre. Et le fait qu'ils soient candidats après l'âge officiel de départ à la retraite (même après la réforme Fillon) ne les inquiète pas outre mesure. Patrick Devedjian, le seul à avoir accepté de répondre aux questions de Mediapart, qui entretient toujours des rapports « distanciés » avec Sarkozy, sourit et fredonne « Le temps ne fait rien à l'affaire » de Georges Brassens. La chanson dit : « Qu´on ait vingt ans, qu´on soit grand-père/ Quand on est con, on est con ».

L'occasion de tacler les « jeunes blancs-becs » qui ont décidé de le pousser vers la sortie : « Ils me traitent comme un vieillard mais 67 ans, c'est la moyenne d'âge du corps électoral français ; 84 ans, l'espérance de vie d'un homme en France. J'ai encore de la marge, non ? »

Patrick Devedjian avec le secrétaire UMP 92, Roger Karoutchi, le 6 mai 2012 au conseil général des Hauts-de-SeinePatrick Devedjian avec le secrétaire UMP 92, Roger Karoutchi, le 6 mai 2012 au conseil général des Hauts-de-Seine© Rachida El Azzouzi

Le patron des Hauts-de-Seine a des réponses brèves à toutes les attaques. Le cumul des mandats ? « Mais je suis comme toute la France, comme le premier ministre socialiste. ». Les absences répétées à l'Assemblée nationale ? « Mais j'ai été pris par le gouvernement pendant une grande partie de mon mandat ainsi que par la présidence de l'UMP. »

Dans son entourage comme dans celui de Santini, aussi, on a réponse à tout. Les années de bouteille sont une force, une expérience, pas un handicap. Pour Bernard Gauducheau, maire Nouveau Centre de Vanves, qui « connaît très bien » Devedjian et surtout Santini dont il fut le directeur de cabinet (1986-1990) et l'attaché parlementaire (1990-1998) : « Le problème n'est pas leur âge mais leur qualité. Ils sont légitimes. Les jeunes ne sont pas très performants pour leur succéder. »

Lundi 4 juin, il était au meeting de soutien de François Fillon à Claude Guéant qui surnage difficilement à Boulogne face au dissident Thierry Solère. « André (Santini), c'est toujours le plus applaudi. La politique, c'est sa passion, sa vocation, personne ne peut lui faire de l'ombre, lui arriver à la cheville. Il a transformé notre secteur. »

Bernard GauducheauBernard Gauducheau© dr

« La politique, c'est sa vie. Il n'a ni femme, ni enfant, travaille 24 heures sur 24 », renchérit Paul Subrini, conseiller général d'Issy-les-Moulineaux, qui suit l'action du duo depuis trente ans. Subrini n'est pas fâché par l'absentéisme régulier à l'Assemblée de Santini et Devedjian : « Le critère n'est pas de savoir s'ils sont présents ou absents de l'hémicycle. Mais leurs résultats sur le terrain et ils sont probants. Vivre à Issy et Antony, c'est gagner au loto tous les jours grâce à eux. »

Paul SubriniPaul Subrini© dr

Responsable du RPR « suffisamment longtemps » sur la circonscription de Santini, il sait « ce que c'est vouloir laisser la place et n'avoir personne pour la prendre à part des amateurs qui se disent divers droite et qui n'ont même pas d'affiches » : « Il n'y a que des retraités. Ça se voit qu'ils ne se rasent pas le matin en pensant à la politique. »

Pour Subrini, ce n'est donc pas le mandat de trop des papys altoséquanais : « L'âge fait qu'on a une expérience plus prompte à régler les problèmes qu'un novice. Qui avions-nous à proposer à part eux ? Personne », explique-t-il. Avant de convenir : « Le renouvellement s'imposera avec l'âge. »

« Pour la première fois, il y a une ouverture »

Pourtant, le renouvellement n'a jamais été aussi proche qu'en cette année 2012. Dans cette Sarkozie qui s'effondre, François Hollande a fait une percée symbolique à la présidentielle. Pour la première fois depuis longtemps, la gauche, mais aussi « la droite qui veut exister après la droite sarkozyste », pensent pouvoir déboulonner les deux sortants qui ont neutralisé des années durant toute ambition y compris dans leur propre camp.

L'UMP Frédéric Lefebvre, par exemple, en sait quelque chose : suppléant de Santini en 2007 (il l'avait remplacé sur les bancs de l'assemblée lorsque celui-ci avait été nommé secrétaire d'Etat au budget), ce natif de Neuilly-sur-Seine, conseiller régional, espérait un retrait du seigneur. Las, il rame aujourd'hui en Amérique du Nord, dans la première circonscription des Français de l'étranger, où il a été largué.

« Il y a une ouverture », se réjouit-on dans les camps des opposants. Sur les marchés, quelle que soit la couleur du tee-shirt, divers droite, centristes de gauche, de droite, socialistes, mélenchoniens, écolos, brocardent les barons, partagent en commun slogans et revendications : le renouvellement de la classe politique, la fin du règne féodal des cumulards, du copinage, du clientélisme.

Tout le monde est dans les « starting-blocks » pour condamner « les mammouths »deux champions de l'absentéisme à l'Assemblée – avec Patrick Balkany, autre parlementaire adepte du cumul –, jamais présents, auteurs d'aucune proposition de loi, ni intervention, ni rapport ces cinq dernières années. Santini a d'ailleurs écopé d'une pénalité financière de 1 420 euros pour son manque d'implication au Palais-Bourbon.

Pascale Le Neouannic et son suppléantPascale Le Neouannic et son suppléant© dr

« Il faut en finir avec ce système clanique et opaque si particulier des Hauts-de-Seine, ce département, où il n'y a aucune commission d’attribution de logements sociaux transparente, où l'on décidait de tout depuis l'Elysée », gronde Pascale Le Neouannic, la candidate du Front de gauche, opposante depuis une quinzaine d'années à Devedjian au conseil municipal d'Antony et au conseil général. A 47 ans, cette proche de Mélenchon, socialiste durant presque trente ans, affronte pour la deuxième fois l'ancien maire d'Antony. La première fois, c'était en 2002. Elle était encore au PS, avait fait 28 % au premier tour, 43 % au second tour.

« Avec ses 12 000 euros de salaires et d'indemnités, ses trois assistants parlementaires, lui qui reproche à la gauche de ne pas savoir gérer les deniers publics, quel est son bilan en tant que député ? Il est nul ! » renchérit Paul Cassia. Le candidat du Modem, 40 ans, « non-professionnel de la politique », prof de droit à l'université Panthéon-Sorbonne et habitant de Sceaux depuis une quinzaine d'années, se lance lui aussi contre Devedjian. Il s'est décidé le jour où Bayrou a annoncé qu'il voterait Hollande, « un acte courageux qui a contribué à débarrasser la France de Sarkozy ».

Julien Landfried avec François HollandeJulien Landfried avec François Hollande© dr

« Devedjian est en bout de course, sous pression, la droite prise de court. On mène une campagne sur les chapeaux de roue comme la gauche n'en a jamais connue dans les Hauts-de-Seine. Nous serons en tête au premier tour », clame Julien Landfried. L'ex-porte-parole de Jean-Pierre Chevènement, parachuté à Antony par le PS dans le cadre des accords passés avec le MRC « pour donner un coup de fouet à la gauche », affirme avoir deux ennemis : l'abstention et Devedjian. Un Devedjian qu'il décrit en ces termes : « Un proche de Sarkozy, des riches, des puissants, qui a appelé à voter pour lui à la présidentielle et qui, aujourd'hui, joue l'antisarkozyste pour les législatives ». Au soir du 1er tour, son équipe de campagne aura frappé à 6 000 portes, au soir du second, 15 000...

« Santini est comme de Gaulle »

Même espoir de renouveau sur la dixième circonscription où Santini semble toutefois plus ancré encore que Devedjian. Le maire d'Issy-les-Moulineaux est mieux perçu que le patron du 92. Question de style, de personnalité mais aussi de poigne. Son slogan n'est-il pas « Vous protéger » comme un bon père de famille ?

Place Corentin à Issy-les-Moulineaux, le 3 juin 2012Place Corentin à Issy-les-Moulineaux, le 3 juin 2012© Rachida El Azzouzi

« Les gens sont satisfaits de son action sous sa casquette de maire. Il est plus loyal à Sarkozy et plus présent dans sa ville que Devedjian, bunkérisé dans son bureau du conseil général avec son armée de collaborateurs », note un sympathisant UMP. « Santini n'est pas Devedjian. Si Devedjian était seul, il serait battu depuis longtemps. Il tient car il a placé sa femme, Sophie Devedjian, son ancienne assistante parlementaire et collaboratrice, à la mairie d'Antony. Elle est premier adjoint, assure le boulot de terrain pendant qu'il est retranché », abonde Pascale Le Neouannic, la candidate du Front de gauche à Antony.

« C'est dur de faire campagne contre Santini. Il jouit encore d'une très bonne réputation », avoue une militante communiste sur le marché Corentin au pied du RER à Issy. « C'est même consternant d'entendre les gens vous dire “Moi je vote Santini parce que je lui dois un service, il m'a donné un travail, un logement social” », dit une autre.

Lotfi Eraoui en témoigne. Depuis 2006, il milite pour « Dédé »,« notre super cyber-maire ». Il est arrivé du Maroc « en détresse » dans les années 2000. Cuisinier à Sodexo, il doit « la vie » à Santini : « Avec Nicolas Sarkozy qui était alors président du conseil général, ils m'ont donné une chance, offert une formation. Quand on vous donne, il faut savoir rendre. »

Lotfi Eraoui milite pour «Dédé» sur le marchéLotfi Eraoui milite pour «Dédé» sur le marché© Rachida El Azzouzi

Ce dimanche 3 juin, il distribue à tout-va des piles de tracts, reconnaissable entre mille avec ses camarades, leurs tee-shirts blancs à l'effigie du patriarche et leurs bonbons gélifiés. « Santini, c'est la fiscalité, les autres, c'est de la cuisine. Il était indécis, on l'a poussé à se présenter. Maintenant que la gauche est au pouvoir, c'est l'homme qu'il nous faut », raconte-t-il. Confiant : « J'ai fait 1 600 appartements. Vous verriez comment on nous accueille. Il ne manque que les fleurs. »

Quelques mètres plus loin, Christian Boudy en remet une couche. Cet ancien chef d'entreprise a quitté le XVIIe pour Issy il y a un peu plus d'un an. Pour lui, « Santini est comme de Gaulle » : « On le garde, vu que ça marche très bien. C'est l'exemplarité en matière de gestion publique, la force de l'expérience. Si ça se trouve, il sera élu au premier tour. Ce n'est pas lui qui est en difficulté mais l'UMP au national. »

« A droite, c'est la guerre. A gauche, c'est pas mieux »

Alors forcément, en face, les prétendants montent au front, labourent le terrain, font de l'éducation populaire, apprennent aux électeurs à ne pas confondre maire, conseiller général, député, ministre, confusion qui arrange bien Santini. « On ne peut pas cumuler cinq mandats et être efficace », dit Fabienne Gambiez.

Sous la bannière « Le Centre pour la France », cette Modem qui n'a rien à voir avec les centristes associés à l'UMP du 92, conseillère municipale depuis 2009 à Issy, taille un costume à Santini, le roi de l'injure publique : « Il est tout le mauvais exemple des Hauts-de-Seine. » Elle ne lui pardonne pas d'avoir traité Bayrou de « chien crevé », le soir du 6 mai, lors de la soirée électorale du conseil général des Hauts-de-Seine, et fait de la moralisation de la vie publique une de ses thématiques de campagne.

Lucile Schmid, la candidate écolo investie par le PS, dans le cadre de l'accord national avec Europe écologie-Les Verts, dans l'opposition à Vanves, une des quatre villes de l'orbite Santini, non plus, ne pardonne pas l'humour corrosif du magnat en place. D'elle, « Dédé » avait dit lors des cantonales 2011 : « Elle est complètement givrée et je ne savais pas qu'on était devenu une décharge. »

Le triporteur de Lucile Schmid, investie par les verts et le PS, sur le marché d'IssyLe triporteur de Lucile Schmid, investie par les verts et le PS, sur le marché d'Issy© Rachida El Azzouzi

Elle l’a fait condamner, hier, mardi 5 juin, par le tribunal de grande instance de Nanterre pour injures publiques à 2 000 euros d'amende et un euro de dommages et intérêts. Une condamnation de plus pour ce récidiviste de l'insulte, condamné en mars dernier, à 3 000 euros d'amende avec sursis pour avoir traité de « misérable, minable » Joseph Dion, un élu PS de l'opposition isséenne.

Ecolo depuis sa démission en 2009 du PS, où elle a participé au laboratoire des idées, Lucile Schmid, qui a tenté par deux fois, en 2002 et 2007, de bousculer Santini sur ses terres sous l’étiquette socialiste, est « optimiste ». Dix ans qu'elle axe ses campagnes sur la dénonciation du cumul des mandats. Elle a « l'impression que les électeurs (l)'entendent aujourd'hui ».

Laurent Pieuchot, dissident socialiste, exclu du parti, à la tête du groupe d'opposition au conseil municipal isséen, use du même slogan. « Santini n'est pas un député utile. Toujours absent, il a dû rembourser une partie des indemnités. Trente ans, c'est trop », répète-t-il.

Son discours et celui des autres prétendants de gauche passeraient beaucoup mieux auprès de l'électorat de droite s'il n'y avait pas de fortes dissensions. « A droite, c'est la guerre. A gauche, c'est pas mieux », tacle un couple de retraités isséens, qui « hésite beaucoup ».

A Issy-les-Moulineaux, Laurent Pieuchot dispute l'étiquette socialiste à Lucile Schmid. La bagarre fait tache. Il était son suppléant en 2007 avant qu'elle ne quitte avec fracas le PS. Sur les marchés, la querelle frise le ridicule. Pieuchot, soutenu par la section PS d'Issy, a gardé les kways rouge des hollandais, clame partout qu'il est socialiste : « Lucile est ambiguë. C'est une écolo. Moi je serai dans la majorité du changement, elle ne sera qu'une partenaire. » Lucile Schmid, soutenue par le premier secrétaire fédéral et les trois autres sections PS de la circonscription, rappelle qu'il fait courir un risque à la constitution d'une majorité de gauche et qu'il est exclu du parti.

Laurent Pieuchot, le dissident socialiste, face à un électeur qui ne comprend pas son jeuLaurent Pieuchot, le dissident socialiste, face à un électeur qui ne comprend pas son jeu© Rachida El Azzouzi

A Antony, même bataille d'ego entre socialistes locaux qui n'approuvent pas les candidats issus des accords de Solférino avec EELV ou le MRC. Fabien Feuillade, le candidat d'Europe-Ecologie, qui avait prévu avec le PS local de conduire une liste de rassemblement, n'a pas apprécié le parachutage du candidat chevènementiste Julien Landfried. Batailles que chacun minimise en s'engageant à soutenir le candidat qui sera en tête de la gauche.

Enracinés dans leurs fiefs depuis les années quatre-vingt, les deux dinosaures contemplent ces « gué-guerres à gauche », en font un argument de campagne et abordent l'échéance « tranquilles et sereins ». Bien qu'il soit « plus inquiet qu'en 2007 », Patrick Devedjian se voit « logiquement en tête au premier tour ».

Avec délectation, il raille son principal adversaire, Julien Landfried, « un chevènementiste réfractaire à l'Europe alors que notre circonscription est pour », dont « les affiches laissent supposer que son suppléant est Hollande », « un parachuté qui a cinq ans d'absence totale sur le terrain alors que moi, durant ces années, j'ai tenu toutes mes permanences ».

Il ne voit pas de raz-de-marée rose dans les Hauts-de-Seine.« Moins de deux circonscriptions peuvent basculer contrairement aux socialistes qui en voient six. Ce ne sera ni la mienne, ni celle de Santini », poursuit Devedjian qui aime à rappeler sa première victoire législative. C'était en 1988 quelques semaines après la défaite de Chirac à la présidentielle : « Il avait fait 45 % au second tour ; moi, 55 %. »

Publié dans Elections

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