Affaire Bettencourt: le bal doré des communicants

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

Quelle est la feuille de route des communicants ? Et jusqu'où peuvent-ils aller? Ce sont désormais les questions délicates posées par la relance de l'affaire Bettencourt devant la juge des tutelles de Courbevoie. Appelés au secours en juin 2010 par l'un des avocats de la milliardaire, Me Pascal Wilhelm, Laurent Obadia et Marion Bougeard, issus d'Euro-RSCG, ont déployé tous leurs efforts pour promouvoir la bonne santé de la vieille dame, au moment où sa fille cherchait à faire admettre son «état de faiblesse».

La société de Laurent Obadia, Opus conseils, s'est vu ainsi confier «une mission pour l'organisation des relations institutionnelles, publiques, de Liliane Bettencourt et le suivi de ses déplacements».

 

Me Wilhlem
Me Wilhlem© Reuters
Déjà surpris par l'investissement massif opéré en faveur de Stéphane Courbit – aujourd'hui remis en cause par l'intéressé–, les avocats de Françoise Meyers ont découvert qu'Opus conseils avait fait partie des «conseils externes»admis aux réunions du comité d'investissement créé par Me Wilhelm, l'avocat devenu protecteur de Liliane Bettencourt. Une présence revendiquée par les communicants. «On est au courant d'absolument tout : on est là où il faut être, explique Marion Bougeard, directrice associée d'Euro-RSCG. On assiste à toutes les réunions sensibles.»

 

Dans le procès-verbal du comité d'investissement du 20 avril dernier (révélé par Les Echos), Laurent Obadia fait brièvement figure de porte-parole de la milliardaire. «Monsieur Laurent Obadia intervient pour dire que Madame Liliane Bettencourt s'intéresse à ses investissements et qu'elle est notamment très impliquée dans L'Oréal» indique le PV de la réunion. La place, importante, prise par les communicants a fini par intriguer l'entourage familial. «On est là. On a un accès direct à Mme Bettencourt, c'est normal, se défend Marion Bougeard. C'est vrai que c'est insupportable pour la famille de voir qu'on rentre comme on veut dans la maison, qu'on s'y balade. On a accès à 100% des documents. On ne nous a jamais caché quoi que ce soit.»

Un contrat aurait été signé en juin 2010 avec Opus conseils, à hauteur de plusieurs centaines de milliers d'euros, confirme Marion Bougeard. «Un prix super raisonnable», qui comprend donc «le suivi des déplacements» de Liliane Bettencourt – mais pas leur coût. «L'année dernière, on a fait six pays, assure la communicante. J'ai chassé les paparazzi en Bretagne, aux Etats-Unis. Je me suis baladée, je ne sais pas combien de fois, au bois de Boulogne avec elle.» Ils sont un peu les saint Thomas de la communication : «Je ne dis pas Liliane Bettencourt va bien, si je ne l'ai pas vue moi-même», assure Marion Bougeard.

Pour être «au plus près de la source», Opus conseils a ainsi organisé le voyage de la milliardaire à l'île Maurice, cet hiver. Laurent Obadia, qui émarge simultanément chez Euro RSCG – où il est officiellement«conseil de Stéphane Fouks» – et chez Veolia – auprès du nouveau patron Antoine Frerot –, a aussi été le conseiller économique de l'ambassade de l'île Maurice à Paris, résultat de bonnes et anciennes relations avec le personnel politique du pays. Ce séjour organisé par Obadia à l'hôtel cinq-étoiles Four Season a été immortalisé par un photographe local.

«Il faut mettre fin à l'idée d'une vieille dame incapable de répondre»

Pascal Wilhelm contacte Obadia pour gérer la crise médiatique, en juin 2010. Les deux hommes se connaissent bien : «Ils avaient travaillé ensemble pour Jean-Marie Messier», précise sa collègue. Obadia rencontre Bettencourt avec l'avocat. «Nous avons convaincu Liliane Bettencourt de s'exprimer afin de mettre fin à l'idée d'une vieille dame incapable de répondre à une interview...», explique-t-il dans Les Echos. Le chantier n'est pas simple. Mais il séduit d'entrée TF1. Le 2 juillet 2010, Claire Chazal fait l'interview de la milliardaire, dans sa propriété d'Arcouest en Bretagne. Un morceau d'anthologie.

http://www.wat.tv/video/liliane-bettencourt-je-ai-2y4at_2i6xp_.html

 


Claire Chazal commente son travail après coup : «Nous ne sommes pas des experts judiciaires. Cette femme a répondu spontanément. Elle a l'âge qu'elle a, elle a cette surdité qui est assez prononcée, et qui la conduit à vivre dans un monde d'isolement , et qui rend la communication avec le monde extérieur un peu difficile.» En gros, ça va.

«Elle a de vraies difficultés de mémoire sur ses affaires, commente Marion Bougeard. Elle peut confondre deux personnes qui s'occupent de ses affaires. Mais quand on aborde sa sphère affective, sa famille, ses chiens, Arcouest, André Bettencourt, elle est dedans. » Les «petits papiers»  le moyen utilisé par son entourage pour lui faire préparer les entretiens  n'auraient pas été nécessaires, assurent les communicants. Liliane Bettencourt imprime mieux les «voix graves», et il faut lui parler bien en face.

A un autre moment clé, en octobre 2010, c'est Europe-1 qui s'y colle. Marc-Olivier Fogiel parlemente avec les communicants. «Mon idée était, au-delà de l'affaire elle-même, d'apporter une dimension humaine à la personnalité de Liliane Bettencourt, explique-t-il au ParisienLa veille, j'ai eu une réunion avec Marion Bougeard et Laurent Obadia. Ils n'ont posé aucune condition, ni demandé mes questions.» L'animateur a une«liberté totale». Les conseillers restent dans la pièce à côté. Par la suite, il leur envoie le résultat, sans qu'ils interviennent.

«Leur stratégie est de faire en sorte qu'on ne la considère pas comme une recluse vivant dans sa chambre volets fermés, mais une femme qui voit du monde, bouge.» Là encore, on prévient gentiment l'auditeur que«Mme Bettencourt souffre de surdité partielle depuis qu'elle a 7 ans, ce qui explique son élocution un peu particulière».

«Mediapart, vous n'écrivez pas positivement»

« Le sujet, c'est la liberté de Liliane de vivre sa vie, assure Marion Bougeard. Au bout d'un moment, elle a le droit de dire “vous m'emmerdez, j'ai le droit de passer du bon temps”.»

Cette ligne de défense de l'entourage lors de la première tempête médiatique n'est plus vraiment à l'ordre du jour. En décembre déjà, un médecin a jugé que «les facultés cognitives» de Liliane Bettencourt étaient «nettement altérées par une maladie cérébrale» («vasculaire et dégénérative»), provoquant la désignation du «protecteur» par l'accord entre la mère et la fille : Pascal Wilhelm.

L'avocat, qui a géré depuis lors les investissements de la milliardaire, fait l'objet d'une enquête déontologique du barreau de Paris sur sa participation à l'opération de financement de la holding de Stéphane Courbit, alors qu'il est l'un des avocats du groupe. Pour le montage financier, Wilhlem avait aussi choisi la société Messier-Maris, étant également l'avocat de Jean-Marie Messier. Dans cet esprit, il était donc logique qu'il fasse appel à Laurent Obadia, un proche de Messier, pour sa communication.

Le communicant a fait ses débuts dans l'ombre du groupe Vivendi, où il a accompagné certains négociateurs de renom. C'est l'ancien magistrat et ex-député UMP Alain Marsaud dans des pourparlers à l'île Maurice, ou l'intermédiaire Alexandre Djouhri dans des disputes pour des marchés au Moyen-Orient. Pour la petite histoire, Obadia s'est aussi illustré dans une recomposition familiale inattendue. Ayant fait partie des troupes du conseiller général (UMP) Didier Schuller dans sa jeunesse, il a présenté Christel Delaval, l'ex-compagne de Didier Schuller, à Jean-Marie Messier, qui l'épousera.

Contacté, lundi, Laurent Obadia a refusé de s'exprimer. «Ça ne sert à rien de communiquer avec Mediapart, a-t-il indiqué. Vous n'écrivez pas positivement.»

Publié dans Affaires

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