Légion d'honneur : la riche promotion du Premier Cercle

Publié le par DA Estérel 83

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Sur les 544 grands donateurs de l’UMP réunis au sein du Premier Cercle en 2007, au moins soixante-quatre ont décroché une Légion d’honneur sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Pour obtenir ces chiffres, Mediapart a croisé l’annuaire secret du Premier Cercle, que nous nous sommes procuré(lire notre précédente enquête), avec la liste des personnes nommées ou promues dans l’ordre de la Légion entre mai 2007 et mai 2012. 

Alors que la Légion d'honneur, « plus haute décoration française », est censée honorer « en un grand brassage national les mérites acquis par les citoyens en dehors de toute considération sociale ou héréditaire », cette statistique inédite révèle combien l’exécutif de Nicolas Sarkozy l’a utilisée pour récompenser ses soutiens politiques. Et combien le Premier Cercle (club très select animé par Éric Woerth où le « ticket d’entrée » s’élevait à 3 000 euros minimum par personne) s’est confondu avec un cercle d’influence.

 

Ces soixante-quatre décorés du Premier Cercle ont-ils mérité leur distinction ? Sans doute certains parcours individuels valaient-ils rosette et ruban rouge, au regard des critères d’attribution traditionnels ; mais cette performance collective fait tiquer jusqu’aux intéressés : « C’est vrai que c’est un beau score ! » se marre un grand donateur, lui-même récompensé. D’autant que ces résultats ne tiennent pas compte des légions octroyées à un père ou un frère, ni des médailles obtenues dans l’Ordre national du Mérite.

Le Parisien a publié en décembre 2009 un cliché montrant le Président Sarkozy sortant d'une réunion du Premier cercle au BristolLe Parisien a publié en décembre 2009 un cliché montrant le Président Sarkozy sortant d'une réunion du Premier cercle au Bristol

La première promotion de la Légion de l’ère Sarkozy, en particulier, interpelle. Dès le 14 juillet 2007, six membres du Premier Cercle font leur apparition dans la liste, répartis sur les contingents de plusieurs ministres : Carol Duval-Leroy (patronne d’une maison de champagne, élevée au rang de chevalier) ; Gilles Cahen-Salvador (financier, promu officier) ; Patrice de Maistre(gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt, chevalier) ; Éric de Sérigny (financier, chevalier) ; Charles-Henri Filippi (patron de la filiale française de la banque HSBC, chevalier) ; et Bruno Lussato (écrivain, commandeur).

Lors d’une cérémonie discrète en janvier 2008, Patrice de Maistre reçoit même son ruban des mains d’Éric Woerth en personne, devenu ministre du budget sans avoir lâché pour autant ses fonctions d’animateur du Premier Cercle et de trésorier de l’UMP. Parce que le premier venait d’embaucher la femme du second, tous les deux sont aujourd’hui mis en examen pour « trafic d’influence ». Cet épisode réveille, au passage, le souvenir du « trafic de légions » de 1887, qui avait contraint le président Grévy à la démission – l’un des tout premiers scandales de corruption de la IIIe République.

Au fil de cette liste des « 64 », on retrouve logiquement les « grands patrons » et capitaines d’industrie actifs au Premier Cercle, tels François Pinault (groupe Pinault-Printemps-Redoute), élevé au rang de grand officier en janvier 2012 ; Robert Peugeot (PSA Peugeot-Citroën), fait chevalier en janvier 2010 ; Jacques Saadé(fondateur de la compagnie de fret maritime CMA-CGM), promu officier en juillet 2009 « à titre exceptionnel » ; Jean-René Fourtou (Vivendi), élevé au rang de commandeur en mars 2008 ; ou encore Bertrand Collomb (président d’honneur des ciments Lafarge et pilier de la secrète conférence de Bilderberg), commandeur depuis juillet 2010.

Autodidacte, le fondateur du volailler sarthois LDC, Gérard Chancereul, a pour sa part été nommé chevalier en janvier 2008.« Ma décoration n’a rien à voir avec le Premier Cercle ! » jure ce grand donateur, qui préfère l’expliquer par sa proximité géographique avec François Fillon. Se souvient-il de l’année où son nom a été proposé pour la première fois à la Légion ? « En 1998 ou 1999, de mémoire. »

N’y a-t-il aucun lien entre l’aboutissement de son dossier en janvier 2008 et la victoire de Nicolas Sarkozy ? « C’est votre analyse ! »Mais ce score de 64 ? « C’est pas mon affaire, raccroche Gérard Chancereul. Moi, je suis totalement hors du circuit. » Chacun, dans la liste, estime avoir gagné son ruban à la sueur de son front.

Banquiers en grand nombre
F-H. PinaultF-H. Pinault© Reuters

Au milieu des industriels, on repère aussi – et c’est plus étonnant – des épouses ou des héritiers : François-Henri Pinault, le fils de François (devenu PDG du groupe PPR), promu officier en novembre 2010 ;Corinne Mentzelopoulos, « dauphine » du propriétaire du Château Margaux (grand cru de bordeaux), faite officier en novembre 2008 (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions) ; ou encore Béatrice Stern, veuve du banquier assassiné Édouard Stern, nommée chevalier en janvier 2008.

D’une manière générale, l’analyse croisée de l’annuaire du Premier Cercle et des promotions de la Légion du quinquennat Sarkozy fait apparaître une proportion remarquable de banquiers :

Michel David-Weill, ancien propriétaire de la maison Lazard, qui a eu le rare privilège d’être élevé au rang de grand-croix par Nicolas Sarkozy en juillet 2011 ; David Dautresme, ancien patron du Crédit du Nord, fait officier en avril 2012 ; Charles de Croisset(Goldman Sachs), promu commandeur en juillet 2011 ; Georges Hervet (banque Hervet), promu commandeur en juillet 2010 ;Christophe Mazurier (banque Pasche), résidant suisse, fait chevalier en janvier 2008 ; Laurent Menière, associé-gérant d’un cabinet d’affaires ayant élu domicile – dans l’annuaire du Premier Cercle – à l’adresse londonienne de la banque d’investissement Bear Stearns, fait chevalier en janvier 2008 ; ou Arnaud de Ménibus (Yam Invest), chevalier depuis juillet 2011.

François PérolFrançois Pérol© Reuters

Sans compter François Pérol,ancien associé-gérant de la banque Rothschild, nommé secrétaire général adjoint de l’Élysée en mai 2007 avant d’être propulsé à la tête du groupe Banque populaire-Caisses d’épargne, chevalier de la Légion depuis juillet 2010.

Dans le tableau, quelques noms surtout dérangent, comme celui de l’ancien président UDF de la région Picardie, Charles Baur (82 ans), dont l’acte politique le plus marquant aura été de conclure une alliance avec le Front national aux régionales de 1998. Grand donateur du Premier Cercle en 2007, soit quatre ans après sa retraite, il a été promu officier dans l’ordre de la Légion en janvier 2010, sur le contingent ministériel d’Éric Woerth (son voisin dans l’Oise, qui l’avait soutenu en 1998).

Enfin, plusieurs membres du Premier Cercle ont été honorés pour« leurs mérites éminents » alors que des enquêtes judiciaires, journalistiques ou fiscales les dépeignent plutôt en ennemis de l’impôt. Outre Patrice de Maistre, il faut citer ici l’ancien patron du Medef, Ernest-Antoine Seillière, fait commandeur en janvier 2010, aujourd’hui visé par une information judiciaire après une salve de plaintes de l’administration fiscale. Quant au marchand d’art Guy Wildenstein, qui a décroché le grade de commandeur en janvier 2009, il est poursuivi par Bercy depuis 2011, pour fraude fiscale.

V. HoffenbergV. Hoffenberg© dr

« Beaucoup des membres décorés ont fait un travail remarquable, plaide Valérie Hoffenberg, conseillère UMP de Paris, l’une des « rabatteuses » les plus efficaces du Premier Cercle, qui a recruté « une centaine de personnes » en 2007. « J’en connais d’ailleurs qui l’ont demandée et qui ne l’ont jamais obtenue ! » Pas question, cependant, de fournir des noms. Elle-même a été nommée chevalier en mars 2008, en récompense de ses « 21 années d'activités professionnelles et associatives »(dixit le Journal officiel) – un minimum de 20 ans est exigé par la grande chancellerie de la Légion.

Pour compléter ses 14 ans à la tête d'une entreprise, Valérie Hoffenberg a mis en avant sa vice-présidence d'une association de femmes méditerranéennes. « J’ai œuvré au rapprochement entre Israël et la Palestine, argue-t-elle. Je pense avec humilité qued’une certaine manière, oui, j’ai fait des choses pour la République ! »

Nicolas Sarkozy est allé jusqu'à lui confier, en 2009, une mission iconoclaste de « Représentante spéciale de la France pour la dimension économique, culturelle, commerciale, éducative et environnementale du processus de paix au Proche-Orient » – une casquette idéale pour préparer sa candidature aux législatives de juin 2012 en Israël et Turquie (elle a été battue). « Je ne vois pas pourquoi le président Sarkozy aurait dû montrer de l’ingratitude envers les gens qui l’ont soutenu », tranche-t-elle. 

Et également le « micro-parti »

À cette liste de 64 membres du Premier Cercle décorés, on peut ajouter au moins 4 bailleurs de fonds du « micro-parti » personnel de l’ancien chef de l’État (la discrète Association de soutien à l'action de Nicolas Sarkozy), également honorés sous son mandat.

R. RicolR. Ricol© Reuters

Parmi les bienfaiteurs de ce « parti de poche » basé à Neuilly-sur-Seine (dont Mediapart s’est procuré un annuaire partiel), on tombe en particulier sur l’expert-comptable René Ricol, nommé médiateur du crédit par l’Élysée en 2008, puis commissaire général à l’investissement en 2010 – l’homme qui a distribué les 25 milliards du Grand emprunt en revendiquant sa neutralité et en se plaisant à répéter : « La politique, c’est pas mon métier. »

Interrogé par Mediapart, il confirme avoir signé, en décembre 2006, un chèque de 7 500 euros au bénéfice du micro-parti de Nicolas Sarkozy (le maximum autorisé par la loi). Promu grand officier dans l’ordre national du Mérite en 2008, René Ricol a accédé « à la dignité de grand officier » de la Légion d’honneur le 14 juillet 2011, sur décision personnelle du président de la République.

À ses côtés, parmi les grands donateurs du micro-parti en 2006 : le financier Marc Ladreit de Lacharrière, élevé en janvier 2011 à la dignité de grand-croix ; l’architecte Jean-Jacques Ory, nommé chevalier début 2011, qui a décroché le marché de l’aménagementdu nouveau siège de l’UMP ; ou encore Jean Mendelson, ancien directeur des archives au ministère des affaires étrangères, fait chevalier (avant d’être nommé « ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française » à Cuba en septembre 2010).

Au passage, on note que certains multiplient les chèques. Déja membre du Premier Cercle et grand donateur de l'UMP, Francis Holder a aussi apporté son obole au micro-parti de Nicolas Sarkozy. Le fondateur du groupe pâtissier Holder (Ladurée, Paul, etc.), qui n'a pas souhaité rappeler Mediapart, a décroché son insigne de chevalier le 13 juillet 2008.

À l'arrivée, on ne s'étonne presque plus de découvrir que l'homme chargé d’encaisser tous ces chèques (en tant que mandataire financier du parti de poche), Didier Banquy, a lui-même été nommé chevalier en juillet 2007 (puis directeur de cabinet du ministre du budget en 2010).

Publié dans Affaires

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