Réforme de l'Etat: préparé en catimini, l'acte II se prépare à attaquer «l'os»

Publié le par DA Estérel 83

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Et si l’on n’avait encore rien vu ? Alors que, cinq ans après son lancement, le bilan de la RGPP (Révision générale des politiques publiques) n’a toujours pas été sérieusement effectué, déjà, la prochaine étape se prépare. En catimini, une fois de plus. Le 29 novembre dernier, lors du séminaire organisé au ministère des finances pour célébrer les acquis de cette vaste réforme, Bercy a succombé à un exercice public d'autocongratulations. Des chiffres mettant en valeur les “considérables économies” réalisées grâce à la RGPP ont été avancés : 150 000 fonctionnaires non remplacés, un gain de 15 milliards pour les finances publiques, voire « 200 milliards pour les générations futures », prévoit Valérie Pécresse, louant dans son discours des réformes de structures « irréversibles ».

Malgré le ton résolument enthousiaste, l'euphorie est de façade. De l'aveu de ses plus fervents promoteurs, la RGPP n'a pas apporté les résultats escomptés pour les finances publiques (nous y reviendrons dans les prochains volets de cette enquête). En ce mois de novembre 2011, la France n'a pas encore été dégradée par les agences de notation mais tout le monde, dans cette assistance choisie, sait que c'est imminent. La dette a explosé.

Difficile de célébrer une réforme si douloureuse pour un si piètre résultat. La ministre du budget lance bien quelques pistes pour la suite : instaurer des guichets uniques en milieu rural et dans les quartiers, améliorer les performances des opérateurs de l'Etat et surtout étendre la RGPP aux collectivités locales (la réforme n'a concerné jusque-là que la fonction publique d'État).

Pour ceux qui, à Bercy, ont chapeauté la RGPP, tout cela n’est pas suffisant. Alors que la réforme ne s'est officiellement pas attaquée aux missions de l'Etat – il s'agissait de « faire mieux avec moins » –, certains estiment que ce principe n'est plus tenable, même pour l'affichage, et considèrent qu'il faut passer la vitesse supérieure.

Pour redresser ses finances, l'État doit désormais s'interroger sur les missions qu'il peut abandonner, déléguer ou externaliser. Et selon la méthode suivie depuis cinq ans, ces plans s’échafaudent à nouveau en coulisse, à l’abri du débat démocratique.

Au 64, allée de Bercy où siège la direction générale de la modernisation de l'État (DGME), on cultive la discrétion. Dans cette direction – centrale depuis le lancement de la RGPP –, 140 personnes, la moitié d'entre elles issues de cabinets de conseils privés, œuvrent à « recentrer l'État sur son cœur de métier »,comme l'indique dans cette inimitable langue managériale la brochure de présentation. Depuis quelques mois, une partie des équipes de la DGME où la moyenne d'âge avoisine la trentaine, s’attelle, dans le plus grand secret, à « repenser les missions de l’État », et explore toutes les pistes pour réduire son périmètre.

Parti sur des bases très radicales, ce projet propose, selon les informations que nous avons pu obtenir malgré le secret absolu requis en interne autour de ce travail, une cure d’amaigrissement drastique pour l’État, sur la base d'un constat préalable : poursuivre ou étendre la RGPP telle qu'on la connaît ne sera pas suffisant car ses principaux leviers s'épuisent. Les réformes de structure ont été faites (création de Pôle emploi par la fusion de l'ANPE et de l'Unedic, réforme de la carte judiciaire, etc.). Le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite montre ses limites, le pic démographique des départs étant pratiquement passé, et la plupart des services des administrations étant déjà en sous-effectif chronique, « à l'os », comme le dit un haut fonctionnaire.

Il faut donc attaquer l'os lui-même.

« Si Sarkozy passe, ce sera la boucherie »

L'État devrait désormais se recentrer sur ses fonctions régaliennes : la justice, la sécurité, la défense et la diplomatie, dans le droit fil de ce que préconisait le rapport Picq (commandé à Jean Picq par Édouard Balladur en 1995, il étudiait les pistes de réformes de l'État). Pour le reste, selon la formulation du rapport,« l'intervention de la puissance publique devrait constituer l'exception »« Si on nous demande de le faire, on saura », explique-t-on en interne pour justifier ce travail, en précisant qu'il s'agit moins d'ailleurs d'un plan clé en main que d'un éventail de mesures très concrètes dans lequel piocher. Au futur président de placer le curseur. « Si Sarkozy passe, ce sera la boucherie », croit savoir un fonctionnaire de Bercy.

Lorsque l'on demande au directeur général de la DGME, François-Daniel Migeon, de nous détailler ce projet, il nie d'abord son existence. « Vous imaginez bien que cela dépasse largement nos prérogatives », affirme l'ancien conseiller technique d'Eric Woerth, avant de reconnaître à demi-mot que « si d'aventure le pouvoir (le leur) demandait… », sa direction serait bien en mesure de proposer différents scénarios.

Pourquoi un tel secret ? Après tout, faut-il s’offusquer de ce que Bercy mène une réflexion sur les missions de l’État, question sur laquelle les rapports sont légion depuis trente ans ? Si cette direction de Bercy tient à être discrète, c'est sans doute parce qu'à la
DGME, on n’est justement plus dans la réflexion mais « dans le faire », selon une expression prisée par ses jeunes consultants. Et la discrétion est pour cette direction le meilleur gage d'efficacité.

Le patron de la DGME n'élude pas cette critique récurrente depuis qu'a été lancée la RGPP. « Il y a une part de vrai, mais elle est assumable. Il s’agissait de mettre en œuvre des réformes dont on parlait depuis très longtemps mais qu'on n'arrivait pas à faire. »affirme ainsi François-Daniel Migeon. Quand Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en mai 2007, l’essentiel de ce qui deviendra la RGPP est déjà prêt. S’il a bien annoncé vouloir moderniser l’État en ne renouvelant pas un fonctionnaire sur deux, la déclinaison concrète de la réforme – et les quelque 500 mesures mises en œuvre – n'a jamais été discutée.

Parlementaires, élus locaux et, a fortiori, syndicats de fonctionnaires ont été soigneusement tenus à l'écart du processus.« Le parlement n’y a jamais été associé, ou alors simplement au moment du vote des budgets. La démarche a été confinée à des très hauts niveaux de l’administration », déplore le député PS Christian Eckert, auteur d’un rapport décapant sur la RGPP, co-dirigé avec le député UMP François Cornut-Gentille et paru cet automne.

Le rapport condamne ainsi une réforme « élitaire et verticale, laissant la quasi-totalité des agents publics dans l’ignorance des fondements et motivations des décisions prises, ainsi que des solutions alternatives envisagées ». Retour sur cinq ans d'opacité.

En compagnie du banquier Michel Pébereau

À l’été 2007, débarquent dans les ministères des équipes mixtes d’audit (du privé et du public) chargées « de documenter les perspectives d’évolution, de réfléchir aux actions à entreprendre pour les années à venir. », selon l’expression d’Eric Woerth, alors ministre du budget. Déjà, l’impression de secret s’installe. « Les rapports avec eux étaient minimaux. Ils s’enfermaient dans le bureau qu’on avait mis à leur disposition sans qu’on explique ce qu’ils venaient faire. », nous raconte un haut fonctionnaire du ministère de la culture. Comme le constatent les députés Christian Eckert et François Cornut-Gentille, « les travaux de ces équipes mixtes n’ont jamais été publiés et n’ont donc donné lieu à aucun débat public ».

Lorsqu’ils en font la demande quatre ans après, ces députés se heurtent à une fin de non-recevoir. « Le secret persistant en réponse à une demande parlementaire sur des travaux accomplis il y a quatre ans ne paraît pas justifié dans le contexte d’un travail d’évaluation et de contrôle décidé par un organe de l’Assemblée nationale », concluent-ils dans leur rapport.

Les clés de la modernisation de l'État ont-elles été abandonnées à une poignée de jeunes consultants ? Évidemment comme le précise celui qui est alors ministre du budget, Eric Woerth, « ce qui est demandé à ces équipes, ce n’est pas de trancher, ce n’est pas de choisir ». Officiellement, les décisions seront prises par le Comité de modernisation des politiques publiques, le CMPP, dont la composition laisse pourtant songeur. Outre le président de la République et le Premier ministre, qui le président, y siègent le ministre du budget, les ministres concernés par les mesures de modernisation, les rapporteurs des deux commissions des finances à l'Assemblée et au Sénat, et le tout-puissant banquier Michel Pébereau ! « La composition de ce comité est ubuesque », s’agace Christian Eckert, qui ne comprend pas « la présence d’un grand financier dans une telle instance ».

A quel titre ce grand patron y siège-t-il ? La réponse du patron de la DGME à Bercy laisse perplexe. Au lieu de le présenter comme l'auteur du rapport sur la dette publique de 2005, il affirme de but en blanc : « C’est une personnalité qualifiée. Michel Pébereau a eu à porter d’importantes transformations dans son entreprise, ce qui lui donne une vraie expertise. » Le tout-puissant patron a en effet mené la privatisation de deux banques, dont la BNP qu’il a dirigée jusqu’en 2003. Une bien précieuse expertise.

Cela dit, rien ne se passe réellement dans cette instance rapporte un bon connaisseur du dossier : « Tout a en fait été décidé entre Claude Guéant et Jean-Paul Faugères (le directeur de cabinet de François Fillon - ndlr). » Il se réunissent au départ tous les quinze jours pour suivre l'avancée de la réforme et décident, dans la centaine de propositions que la DGME leur propose, celles qui sont acceptables ou non.

« La RGPP, c'est vraiment le bébé de Claude Guéant »

Car, outre Eric Woerth qui a travaillé à l'élaboration de la RGPP avec les anciens membres de son cabinet sous Raffarin (dont celui qu'il fera nommer à la tête de la DGME, François-Daniel Migeon), l'autre maître d'œuvre de la réforme de l'État est le futur secrétaire général de l'Elysée. « La RGPP, c'est vraiment le bébé de Claude Guéant », explique ce même haut fonctionnaire qui a suivi de près ce processus. Claude Guéant aurait notamment veillé à ce que le ministère de l'intérieur garde un ascendant sur la réforme de l'administration territoriale d'État (RéATE). Placer tout le monde sous l'autorité du préfet de région, principale conséquence de cette réforme, n'est en effet pas inutile quand toutes les régions ou presque ont basculé à gauche… Et tant pis si cela n'a que très peu à voir avec la modernisation de l'État.

Comme le prouve encore aujourd'hui le secret entourant les travaux de la DGME, la réforme de l'État est un sujet décidément trop sérieux pour s’enliser dans quelque consultations démocratiques, ou perdre son temps avec de bien inutiles « corps intermédiaires ».

« Il y a quand même un grand danger à confier à une organisation composée de gens du privé le rôle de penser les politiques de l'État », s'alarme au secrétariat général d’un grand ministère un haut fonctionnaire à qui l'on apprend l'existence de ces travaux visant à préparer l'acte II de la RGPP. Tout cela lui semble dans le droit fil de ce qu'il a connu dans son ministère ces cinq dernières années. « On confie cela à des gens qui connaissent mal, quoi qu'ils en disent, les politiques publiques. Ils découpent et réécrivent les procédures pour obtenir des gains d'effectifs mais sans mesurer toutes les conséquences de leurs choix », poursuit-il.

Si la discrétion permet d'avancer plus efficacement, comme le plaident certains à Bercy, il se pourrait qu'elle permette aussi (ou surtout ?) de dissimuler les invraisemblables conflits d'intérêts à l'œuvre dans cette réforme. Nous le verrons dans le prochain volet de notre enquête.

Publié dans Société

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