Poweo-Direct Energie cherche à faire subventionner sa gestion de clientèle

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

En toute discrétion, une négociation financière est actuellement en cours entre ERDF, distributeur d’électricité, filiale à 100 % d’EDF, et Poweo-Direct Energie, fournisseur d’énergie qui compte Alain Minc et Stéphane Courbit parmi ses administrateurs.

Elle porte sur les frais de « gestion de clientèle » que Poweo-Direct Energie, premier fournisseur alternatif d’énergie, voudrait faire payer à ERDF. À quel titre ? Parce que la société considère que ses activités de facturation du tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (le Turpe, une des composantes du prix de l’électricité), à savoir le calcul des montants, l’élaboration de la facture, son impression, son affranchissement et son envoi, sont en réalité réalisées pour le compte du distributeur. Et devraient donc faire l’objet d’une rémunération. Le Turpe représente 90 % des recettes d'ERDF.

Mais la liste de ses requêtes ne s’arrête pas là. Poweo-Direct Energie souhaite également se faire rembourser les frais occasionnés par l’encaissement des sommes dues (réception du courrier, remise en banque, gestion des rejets, comptabilisation des règlements), la relance et le recouvrement en cas d’impayés. Bref, l’ensemble de la gestion de la relation clients. « ERDF devrait des sommes qu’elle n’a pas reçues ! » s’étrangle un cadre de l’entreprise.

Présidée par Xavier Caïtucoli, fondateur de Direct Energie, la nouvelle entité Poweo-Direct Energie – fusionnée l’été dernier – fournit environ un million de clients, dont 83 % de particuliers. C'est une toute petite partie des 30,7 millions de sites résidentiels fournis en électricité au niveau national. Au total, depuis l’ouverture du marché à la concurrence en 2007, seuls 1,9 million de clients ont quitté EDF pour passer au tarif non réglementé. En 2011, Poweo et Direct Energie ont réalisé un chiffre d’affaires combiné de 762 millions d’euros, mais ont subi d’importantes pertes. Pour Poweo, elles s’élevaient à 64,3 millions d’euros l’année dernière. Dépourvus de moyens de production et sans réseau de distribution, la société n’exerce qu’une activité de fourniture d’électricité, rachetée à EDF et revendue à ses clients.

Pour parvenir à ses fins, Poweo-Direct énergie a proposé à ERDF de signer un nouveau contrat de prestation de services, dit de« gestion de clientèle ». Une version finalisée de ce document a été transmis à la Commission de régulation de l’énergie (CRE), le 25 juillet. À la suite de quoi, la commission s’est réunie en une délibération tout aussi discrète le lendemain, 26 juillet. Un compte-rendu est accessible en ligne sur son site (voir ici).

Les commissaires et leur président, Philippe de Ladoucette, approuvent le nouveau contrat, considérant « qu’il existe des facteurs objectifs tendant à démontrer que le coût de gestion de la clientèle de Poweo-Direct Energie est supérieur à celui d’un fournisseur historique disposant d’une base de clientèle plus large ». Au point d’être, selon eux, en situation de « handicap concurrentiel ». En clair, trop petit et trop récent, le fournisseur alternatif dépense plus d’argent par client que l’opérateur historique, EDF. Une « asymétrie » au regard des règles de concurrence que le mouvement européen de libéralisation du secteur veut instaurer. 

Jusqu'à 38,5 millions d'euros

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Car la CRE estime que le nouveau type de contrats que concocte Poweo-Direct Energie pourrait très bien être conclu avec d’autres opérateurs alternatifs. Et surtout, que ses coûts pourraient très bien être répercutés dans le prix de l’électricité. En effet, ces nouveaux frais pour ERDF « étant de nature à entrer dans le périmètre des charges couvertes par le TURPE », la CRE annonce qu’elle examinera, lors de l’élaboration des prochains tarifs, « la couverture des montants facturés à ERDF ». Autrement dit, au bout du compte, ce sont les ménages qui vont en payer la facture.

Combien va coûter aux Français cette externalisation des frais de gestion de clientèle de Poweo-Direct Energie ? Aucun chiffre n’est encore avancé officiellement, mais le montant de la facture pourrait s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros. 
En effet, en 2009, les experts de la CRE se sont livrés à un calcul très utile (publié ici, p. 42 et 43). En plein travaux d’évaluation du nouveau TURPE, ils chiffrent la « composante annuelle de gestion », à savoir combien coûte la gestion des dossiers des utilisateurs (réception des appels, facturation et recouvrement). Et ils distinguent d’un côté les contrats gérés directement par ERDF (autour de 30 euros par an), et de l’autre, ceux pris en charge directement par le fournisseur (environ 8 euros). La différence de 22 euros représente donc le « prix » du service de gestion de clientèle que Poweo-Direct Energie souhaite désormais se faire monétiser.

Or dans sa délibération du 26 juillet, la CRE plafonne la demande du fournisseur alternatif : il ne peut prétendre se faire rétribuer sa gestion de clientèle au-delà de 1 750 000 clients (soit près des deux tiers de plus que sa base commerciale actuelle). À 22 euros par client, la facture s’élèverait pour ERDF à 38,5 millions d’euros.

Ce ne sera peut-être pas le montant final facturé à ERDF, car nul ne connaît encore le barème qui sera appliqué à la rémunération de la gestion de clientèle mais cela donne une première idée des sommes en jeu. « En gros, comme l’ouverture à la concurrence du marché ne marche pas, et que les fournisseurs tels que Poweo-Direct Energie ont des difficultés financières, le distributeur ERDF va le subventionner, et il est fort probable que ceci sera répercuté sur les consommateurs », se désole un cadre d’ERDF, interrogé par Mediapart sous le sceau de l’anonymat.

Depuis l’ouverture du marché de l’électricité en 2007, les tensions sont vives entre les fournisseurs et transporteurs historiques d’énergie, qui ont conservé une mission de service public, et certains nouveaux acteurs du marché. Toute une série de contentieux opposent ERDF et les fournisseurs alternatifs. Direct Energie a saisi le Comité de règlements des différends et des sanctions (CoRDis) à deux reprises, sur les réclamations clients, les impayés et les coupures pour impayés.

En plein chantier de la tarification de l’énergie avec la proposition de loi en cours d’élaboration sur les tarifs progressifs (voir ici notre article), cette affaire démontre que la hausse des prix de l’électricité n’est pas le fruit de l’opération du Saint Esprit, mais bien le produit de stratégies financières et commerciales qui, la plupart du temps, se déroulent en dehors du regard du public.  

Publié dans Economie

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