Moscovici : vive l’Impôt sur les... Petites Fortunes

Publié le par DA Estérel 83

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L'arbitrage a été rendu et il est maintenant public : les contribuables les plus riches continueront de bénéficier des principaux abattements qui grèvent l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) depuis sa fondation et qui en ont fait un prélèvement d'abord symbolique, frappant l'immobilier mais pas les biens professionnels, c’est-à-dire les fortunes moyennes-élevées, mais pas les véritables grandes fortunes. Autrement dit, il est maintenant confirmé que le gouvernement a renoncé à réformer l'un des prélèvements parmi les plus mal conçus et donc parmi les plus bancals du système français des prélèvements obligatoires.

C’est le ministre des finances Pierre Moscovici, qui l’a indiqué ce jeudi, dans un entretien au journal Les Échos. Dans le cadre de l’opération de charme conduite par le gouvernement pour séduire le patronat, les tâches ont en effet été visiblement réparties de manière méticuleuse. Pas moins de dix ministres, dont Jean-Marc Ayrault et le même Pierre Moscovici, se sont rendus à l’Université d’été du Medef. Et le ministre des finances, suivant l’exemple, la veille, du ministre du redressement productif, s’est appliqué à caresser les patrons dans le sens du poil en accordant un entretien au quotidien patronal. C’est donc à cette occasion que Pierre Moscovici a indiqué que l’arbitrage sur l’ISF était rendu. Le débat, qui a divisé la gauche depuis trois décennies, est expédié en deux phrases. « Les biens professionnels pourraient-ils entrer dans l’assiette de l’ISF ? » demandent Les Échos. Réponse rapide mais tranchée du ministre : « La réflexion se poursuit sur l'ISF. Mais il n'est pas question d'inclure les biens professionnels dans l'assiette de l'impôt. »

L'annonce ne constitue certes pas une surprise, car durant la campagne présidentielle, François Hollande s’était engagé à remettre en cause les principaux allègements d’ISF que Nicolas Sarkozy avait accordés à ses riches amis du capitalisme du Fouquet’s. Et en particulier, il avait promis d'annuler le relèvement du seuil de taxation de l’ISF de 790 000 euros à 1,3 million d’euros, qui avait eu pour effet de vider l’ISF de près de la moitié de sa substance. Une promesse que le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a honorée. Mais en revanche, la question des biens professionnels n’est jamais venue dans le débat de la présidentielle. Et François Hollande n’a rien fait pour relancer une controverse qui a hanté la gauche depuis 1981. Pourtant, les choses ont un peu bougé dans le courant de l’été, car à la faveur de la surtaxe exceptionnelle d’ISF qui a été annoncée pour l’automne, les services du ministère des finances, qui font la chasse à toutes les bonnes idées pour améliorer les rentrées fiscales et réduire les déficits publics, ont examiné les retouches qui pourraient être apportées à l’ISF dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013.

Comme nous l’expliquions dans un article récent (lire La politique économique et sociale de Hollande déçoit), plusieurs pistes ont donc été explorées par les services de Bercy : le bienfondé de certaines exonérations a été passé en revue, dont celle des biens professionnels ; et, dans le souci d’alléger la charge de l’ISF pour les plus hauts revenus, une réflexion a été engagée pour voir s’il était opportun de passer d’un système d’imposition par tranches, actuellement en vigueur (de 0,5 % à 1,8 %, suivant le montant du patrimoine), à un impôt adossé à un taux unique moyen, sans doute de 0,8 %. Un projet qui a inquiété les milieux patronaux.

C’est donc pour les apaiser que Pierre Moscovici leur apporte finalement l’assurance que l’ISF restera pour l’essentiel tel qu’il est. C’est-à-dire un impôt mal conçu, frappant d’abord les couches moyennes-supérieures, mais pas les véritables grandes fortunes.

Le cas stupéfiant de Liliane Bettencourt

Même si François Hollande n’avait pris aucun engagement en ce domaine, le constat n’en saute pas moins aux yeux : les socialistes renoncent effectivement à réformer l’un des impôts les plus mal conçus du système fiscal français. Vulgairement dit, l’un des plus mal foutus.

La faute en revient d’abord à François Mitterrand, qui, créant en 1982 l’impôt sur les grandes fortunes (IGF, l’ancêtre de l’ISF), a dès le début choisi que ce prélèvement serait grevé de très fortes exonérations. Les plus célèbres d’entre elles sont les forêts, les œuvres d’art – on a beaucoup parlé pour cette exonération du rôle de Laurent Fabius et de ses liens familiaux avec les milieux des antiquaires et des galeristes – et donc les biens professionnels. Puis, en 1988, lors de la campagne présidentielle, François Mitterrand a fermé par avance le débat, qui commençait à prendre de l’ampleur jusque dans les rangs socialistes, en consignant dans sa Lettre à tous les Français que l’ISF nouvelle mouture resterait grevé des mêmes exonérations.

À l’époque, ce coup de force de François Mitterrand avait fait beaucoup de vagues dans les rangs socialistes. Exhumant les thèses célèbres du Prix Nobel d’économie Maurice Allais, Dominique Strauss-Kahn, alors président de la Commission des finances de l'Assemblée nationale, avait fait valoir qu’une imposition sur le capital ne nuisait pas à sa rentabilité. Et, appuyé par les jeunes socialistes de sa génération – comme François Hollande ou Pierre Mosovici… –, il aimait donner cette illustration : la France dispose du plus grand massif forestier d’Europe, mais souffre paradoxalement d’un considérable déficit de sa filière bois, parce que les grandes fortunes, qui contrôlent une partie de ces forêts échappant à l’impôt, ont des comportements de rentiers. Au contraire, si les forêts n’échappaient pas à l’ISF, les mêmes propriétaires seraient incités à les exploiter pour qu’elles soient rentables…

Au début du second septennat de François Mitterrand, le constat revenait donc comme une ritournelle : l’ISF est un impôt qui frappe les millionnaires, mais pas les milliardaires. Or le constat est plus vrai aujourd’hui qu’hier. Avec l’envolée de l’immobilier, de nombreux Français sont entrés dans le champ de l’ISF, parce qu’ils possèdent un appartement. En revanche, les très grandes fortunes continuent plus que jamais d’échapper à l’ISF, parce que les biens professionnels, qui sont toujours exonérés, sont naturellement des vecteurs de richesses autrement plus considérables.

Dans une enquête en marge du scandale Bettencourt (lire Lilianne Bettencourt : cherchez l’impôt !), Mediapart en a donné voici quelques temps la plus spectaculaire des illustrations. Révélant les impôts auxquels est assujettie l’une des contribuables françaises les plus riches, nous apportions ces précisions. Alors qu’elle dispose d'environ 17 milliards d’euros de patrimoine, Liliane Bettencourt n’est assujettie au titre de l’ISF que sur un patrimoine de 2,2 milliards. En clair, les sept huitièmes de son patrimoine échappent à l’ISF. L’essentiel du patrimoine de Liliane Bettencourt, sa participation dans L’Oréal (28,6 %), n’est en effet pas pris en compte dans le calcul de l’ISF. Sur les conseils, sans nul doute, de fiscalistes avisés, champions de l’optimisation fiscale, cette participation a été logée dans Thétys, dont Liliane Bettencourt a l’usufruit. Cette société est considérée comme un actif professionnel, donc n’est pas soumise à l’ISF. D’un seul coup, par ce montage tout à fait légal, ce sont 14 milliards d’euros qui s’évanouissent de la base fiscale de Liliane Bettencourt.

À cette aune-là, on comprend mieux pourquoi parler d’impôt sur les « grandes » fortunes constitue une contre-vérité notoire, de nature à abuser l’opinion. Le vrai nom de cet impôt aurait dû être l’Impôt sur les… Petites Fortunes !

Mais on comprend bien qu’un ministre socialiste des finances ne puisse pas dire les choses de la sorte. Ce serait avouer que l’ISF est une mystification. Ou plutôt un impôt Canada-dry : il a l’odeur d’un impôt sur le capital, il en a la saveur, mais c’est évidemment tout sauf cela…

Publié dans Economie

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