En Allemagne, le biogaz enchante le monde paysan

Publié le par DA Estérel 83

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La nouvelle «mine d'or vert» de Jens Wischmann, paysan céréalier de son état, est installée en bordure de l'un de ces grands bois de pins austères et tranquilles du nord de l'Allemagne. Depuis qu'il s'est lancé dans la production de biogaz, en 2007, M. Wischmann est un homme heureux : il a multiplié par trois son chiffre d'affaires et ne craint plus l'évolution des prix du blé.

Sur son site de production, situé non loin de la ferme de son associé Harm Steger, un producteur de porcs, huit énormes cuves remplies d'un magma nauséabond de maïs broyé et de lisier de porc produisent suffisamment de méthane pour faire fonctionner cinq turbines électriques d'une capacité de 1,1 mégawatt (MW). Le tout est doublé d'un dispositif de cogénération qui permet de récupérer la chaleur dégagée: «Mon associé fournit le lisier et moi la matière végétale sous forme d'ensilage de maïs ou de pulpe de betterave à sucre», explique-t-il. Avant, il produisait diverses céréales et de la pomme de terre: «Je cultive environ 450 hectares. J'en ai toujours vécu correctement malgré les fortes variations des prix des céréales. Mais je n'avais pas de perspective réelle de développement. Avec le biogaz, nous sommes passés dans une autre dimension», explique-t-il avec un large sourire. 

Malgré un investissement de 4 millions d'euros, le risque financier pris par Heidekraft (la société que MM. Wischmann et Steger ont créée pour l'occasion) est relatif. En effet, la loi allemande sur les énergies renouvelables (EEG) fournit une prime importante pour tout kilowatt vert. Et bien que dégressive, cette prime est garantie sur vingt ans. A cela s'ajoutent d'autres bonifications, telles que la prime pour l'utilisation «écologique» du lisier, la prime aux nouvelles technologies ou celle pour le développement de la cogénération. Discret sur ses revenus, M. Wischmann finit quand même par lâcher que, grâce au biogaz, son chiffre d'affaires annuel est passé de 700.000 à 2,5 millions d'euros. Pour cela, la production de pommes de terre a été abandonnée au profit exclusif du maïs et de la betterave. L'intégralité de l'électricité est revendue à EON, premier producteur d'électricité allemand. La chaleur produite sert, elle, à chauffer une trentaine d'habitations, un hôtel, les cochons de M. Steger et bien sûr la ferme cossue de M. Wischmann.

Vue sous cet angle, la production de biogaz est une bénédiction pour l'agriculteur qui y trouve de nouveaux revenus mais aussi une nouvelle place dans la société. Pour lui, l'évolution sociale a redémarré. Après avoir été, il y a des milliers d'années, chasseur-cueilleur puis cultivateur ou éleveur, l'agriculteur devient aujourd'hui producteur d'énergie.

«Vitrines de l'électromobilité»

M. Wischmann n'est bien sûr pas le seul à s'être lancé dans l'aventure. Les 1.000 habitants de Jühnde, une petite commune rurale des environs de Göttingen, ont eux aussi investi dans ce nouvel or vert. Et aujourd'hui, ils se moquent bien de la hausse des prix du fuel ou du gaz. Pour chauffer leurs habitations et faire bouillir leurs marmites, ils payent toujours les prix pratiqués en 2002, soit moitié moins que les prix actuels. Depuis l'installation d'une centrale communale de biogaz en 2005, le village de Jühnde produit même plus d'énergie qu'il n'en consomme. C'est ainsi la première commune «bioénergétique» d'Allemagne, pays qui en compte 77 aujourd'hui: «Le projet a été initié par l'Université de Göttingen. Cela n'a pas été sans risque car il a fallu développer un réseau de plus de huit kilomètres de canalisations pour transporter la chaleur et régler pas mal de problèmes techniques», explique Eckhard Fangmeier, responsable du projet.

Chaque foyer a dû investir 2.500 euros pour faire partie de la société communale qui fait travailler six des neuf fermiers locaux. Aujourd'hui, grâce à un investissement global de 5 millions d'euros (dont 28% de subventions), le village se chauffe à bas prix, revend la moitié de l'électricité produite et a baissé son taux d'émission de gaz carbonique de 60%. Evidemment, le succès de Jühnde n'est pas passé inaperçu. D'autres communes allemandes ont copié le modèle et il ne se passe pas une semaine sans qu'une délégation étrangère, américaine, coréenne ou chinoise, vienne visiter ce village qui se place à la pointe du «virage énergétique» allemand. En effet, Jühnde s'est même équipé d'un Centre de compétences pour les nouvelles énergies et d'une station de charge pour les automobiles électriques. Son prochain rêve est de participer, en partenariat avec Volkswagen et le Land de Basse-Saxe, au projet lancé par le gouvernement fédéralqui veut créer 200 régions «vitrines de l'électromobilité» pour promouvoir la voiture électrique en Allemagne.

 

Bataille entre «l'assiette et le réservoir»

Fin 2010, la Fédération allemande des producteurs de biogazévalue le nombre d'installations existantes à 5.800, pour une puissance électrique installée de 2,3 gigawatts et 4,3 millions de foyers chauffés. A titre de comparaison, un réacteur nucléaire de troisième génération (EPR) fournit une puissance de 1,6 gigawatt. Le biogaz est donc sorti de la marginalité: «Mais cette production pose deux problèmes majeurs», relève Tobias Göckeritz, représentant du syndicat allemand des paysans pour la région Mittelweser en Basse-Saxe: «Contrairement au solaire ou à l'éolien, le biogaz est tributaire de la surface. Pour produire 2 mégawatts, il faut disposer d'environ 1.000 hectares qui ne sont alors plus disponibles pour l'alimentation. Par ailleurs, cette nouvelle source de revenus attire de nouveaux acteurs non agricoles qui disposent d'une capacité financière sans commune mesure avec celle de l'agriculteur moyen», déplore-t-il. 

KTG Agrar AG, la première entreprise agricole d'Europe cotée en bourse, en 2007, est un de ces nouveaux acteurs qui effraient le monde paysan: «Nous aurons toujours besoin de grosses et de petites exploitations. Mais il est certain que si l'on veut développer les énergies renouvelables à grande échelle, il faut aussi que la production agricole entre dans l'ère industrielle», explique Dietmar Luz, membre de la direction de KTG Agrar. Créé en 2000 par l'agriculteur bavarois Siegfried Hofreiter, le mastodonte exploite près de 30.000 hectares, principalement en Allemagne de l'Est mais aussi en Lettonie: «Notre action est cotée dans plusieurs bourses régionales et nous venons d'émettre une obligation qui nous a rapporté 50 millions d'euros. Nous comptons utiliser cet argent pour agrandir notre surface cultivée et augmenter massivement notre production de biogaz dans les deux ans à venir, tant que les subventions sont intéressantes», précise M. Luz.

L'entreprise prévoit de doubler sa production électrique pour atteindre, fin 2012, une puissance de 25 mégawatts et un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros pour la seule activité énergétique. 

«La problématique des énergies nouvelles dans l'agriculture ne se limite pas à la bataille entre "l'assiette et le réservoir", c'est-à-dire à la compétition entre les surfaces cultivées pour l'alimentation et celles cultivées pour l'énergie. Il y va aussi de l'avenir des agriculteurs et de la sauvegarde du paysage et de la biodiversité. C'est un débat qui doit rapidement s'ouvrir avant qu'il ne soit trop tard», souligne Tobias Göckeritz.

De sa ferme biologique de Beelitz près de Berlin, l'agriculteur Volker Rottstock observe lui aussi ces évolutions avec inquiétude: «Les grandes sociétés spécialisées dans le biogaz ou l'éolien arrivent et proposent des prix de location des terres qui sont trois à cinq fois supérieurs à ce que je peux payer pour louer mes 300 hectares. Dans deux ans, mes baux de location arrivent à échéance. Je ne sais pas si je pourrais conserver ces terres et continuer.»

Publié dans Ecologie

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