Voici comment on arrive à plus de 1 000 morts pour le Mediator

Publié le par DA Estérel 83

Rue89-copie-1 Par Sophie Verney-Caillat - 18/12/2010

 

 

La nouvelle estimation des décès provoqués par le médicament renforce la suspicion sur le rôle des autorités de santé.

Un tas de pilules (e-magic/Flickr)

 

Quand l'assurance maladie chiffrait à 500 le nombre de décès dus au Mediator, la laboratoire Servier demandait : « Où sont tous ces morts ? » Maintenant que les experts parlent de 1 000 à 2 000, la firme est de plus en plus perplexe. « On ne sait rien de rien, on ne sait rien sur rien », soupire un de ses représentants.

Une fuite du Figaro ce samedi révèle que l'Agence du médicament avait été alertée dès 1998 des mésusages du Mediator, utilisé à tort comme coupe-faim (la lettre au format PDF). Une alerte intervenue onze ans avant le retrait effectif du médicament initialement destiné aux diabétiques !

Mais l'autre information révélée par le quotidien risque d'interpeller encore plus le grand public : le chiffre de 500 morts avancé en novembre dernier était une estimation très basse. Une étude inédite, menée par deux chercheurs de l'Inserm, évalue le bilan réel entre 1 000 et 2 000.

Lors de sa seule prise de parole depuis le début de l'affaire, Jacques Servier, le patron du laboratoire, se disait « sidéré, stupéfait », évoquait une « fabrication » et estimait que les « statistiques étaient basées sur des présomptions ». Aujourd'hui, l'attachée de presse de Servier s'étonne à nouveau :

« Nous découvrons l'existence de cette étude qui ne nous a pas été transmise. »

 

145 millions de boites vendues depuis 1976

En fait, ces nouveaux chiffres ne remettent pas en cause les précédents. J'ai interrogé Catherine Hill, épidémiologiste à l'institut Gustave-Roussy (Villejuif) et dont les calculs avaient abouti à la première estimation de 500 morts, ainsi qu'Irène Frachon, la pneumologue du CHU de Brest qui a révélé le scandale dans son livre Mediator. Le sous-titre initial de son livre, « Combien de morts ? », avait été censuré.

Irène Frachon a par exemple a eu connaissance de cas qui n'apparaitront jamais dans les statistiques officielles :

« Par exemple, un homme m'a écrit parce que sa femme, traitée sous Mediator, était décédée dans ses bras sans avoir été hospitalisée. Dans son cas, il se peut parfois que la valvulopathie [causée par le Mediator, ndlr] n'ait pas été diagnostiquée.

 

Il y a aussi ceux dont la valvulopathie est diagnostiquée, mais qui ne mourront qu'après les trois années que dure le suivi dans les fichiers de la Cnam.

 

Ce n'est que lorsqu'on regarde la surmortalité à long terme que l'on a des statistiques qui se rapprochent plus de la réalité. »

 

« C'est juste une question de méthode »

Catherine Hill a extrapolé à partir des données fournies par l'Assurance maladie, et qui ont leurs limites. L'épidémiologiste a trouvé que pour les 303 000 personnes qui ont consommé 17 millions de boites de Mediator entre 2006 et 2010, le risque de développer une valvulopathie était 3,1 fois supérieur au reste de la population.

Elle précise que 145 millions de boites ont été vendues depuis la mise sur le marché de ce médicament en 1976, ce qui concerne potentiellement 5 millions de sujets.

Catherine Hill a toujours insisté auprès des autorités qui lui ont commandé cette enquête sur le fait que ses chiffres finaux, à savoir 500 morts, étaient « le minimum du minimum » :

  • on ne peut regarder la surmortalité que si elle intervient quatre ou cinq ans aprs la prise de Mediator, mais les effets peuvent survenir bien plus tard,
  • l'étude ignore le risque d'hypertension artérielle pulmonaire, faute de pouvoir le mesurer

L'Afssaps, sans prévenir, avait commandé en parallèle une autre étude, à deux autres chercheurs, Mahmoud Zureik et Agnès Fournier, de l'Inserm. C'est ce dernier travail qui a été révélé par Le Figaro.

Ceux-ci prennent en compte les études de plus long terme, c'est-à-dire les gens qui peuvent avoir succombé au Mediator plus de quatre ans après la prise. Catherine Hill confirme la fiabilité de leurs chiffres :

« On est d'accord, c'est juste une question de méthode plus stricte dans mon cas, plus large dans le leur. »

 

Reste une question gênante : pourquoi l'Afssaps ne communique-t-elle pas elle-même les résultats des études qu'elle commande aux experts, au lieu de laisser la presse le faire à sa place ?

Publié dans Santé

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