Aubry: "Mon devoir est de préparer la gauche pour 2012"

Publié le par DA Estérel 83

JDD 04/12/2010

 

 

Après une semaine très agitée au Parti socialiste, Martine Aubry sort enfin de son silence dans une interview exclusive au Journal du dimanche.

 

Vous ne parlez que maintenant, pourquoi? 
Mon rôle n’est pas celui d’un commentateur politique. Un jour on nous dit qu’il n’y a pas assez de candidats aux primaires, un jour qu’il y en a trop! Pour moi, les choses sont simples. Les socialistes qui pensent pouvoir diriger la France ont le droit d’être candidats aux primaires. Mais moi, en plus, j’ai un devoir: montrer aux Français qu’une autre France est possible, préparer la gauche à gagner en 2012 et à réussir après. C’est ce que les Français attendent de moi, et je m’y tiendrai. Le rôle du capitaine, c’est de tenir fermement la barre, de maintenir le cap et d’amener l’équipage à bon port; ce n’est pas de se laisser distraire par le clapotis des vagues.

La déclaration de candidature de Ségolène Royal vous a-t-elle surprise? 
Ségolène Royal a toujours dit que si elle le pensait possible, elle présenterait sa candidature. C’est ce qu’elle a fait. Je respecte le choix de chacun.

Cette semaine, vous étiez à Lille…. 
Oui, j’étais auprès des Lillois au moment des premiers grands froids. Vous savez, c’est difficile pour beaucoup de Français aujourd’hui. Certains ne savent pas comment ils vont payer leur facture énergétique, d’autres n’osent pas allumer leur chauffage à cause du coût, beaucoup de gens dorment dans la rue. Ma première responsabilité, dans ma ville comme au niveau national, c’est d’être auprès des Français. Je vais continuer dans les jours qui viennent à aller à la rencontre des Français qui souffrent, mais aussi de ceux qui se battent, qui agissent, qui innovent…

"J’annoncerai ma décision personnelle en juin"

La gauche sera-t-elle prête en 2012? 
Oui bien sûr, parce que la France en a besoin! Vous savez, on a déjà beaucoup travaillé. Par exemple pour retrouver la croissance et l’emploi, pour une réforme juste et efficace des retraites, pour une vraie politique de sécurité… Samedi prochain, nous ferons nos propositions sur l’éducation, le logement, la santé… Et nous poursuivrons les semaines suivantes avec les institutions, mais aussi l’industrie, l’emploi… C’est au printemps que nous présenterons le projet des socialistes pour la France. Nous dirons clairement aux Français ce que nous ferons dans les trois premiers mois après l’élection, ce que nous ferons dans le quinquennat et au cours de la décennie. Nos priorités seront affichées et bien sûr financées. 2011, c’est aussi la préparation de cette formidable révolution démocratique que sont les primaires. Tous les Français qui veulent l’alternance pourront choisir notre candidat. C’est un acte de confiance extraordinaire. Pour réussir tout cela en 2011, tous les socialistes doivent être mobilisés. Notre responsabilité est collective. C’est pourquoi je présenterai en janvier, après en avoir discuté avec tous les dirigeants, notre feuille de route et la façon dont nous allons travailler ensemble. Je le redis, et chacun le sait bien: nous ne réussirons que collectivement.

Certains pensent que les primaires vont être une machine à perdre, faut-il accélérer le calendrier? 
J’observe que la patience ne pousse pas dans tous les jardins. Quand on a vocation à diriger le pays, on se doit d’être serein et responsable. Le calendrier a été fixé: en juin les candidats, à l’automne le vote. Ce choix a une vraie cohérence politique. Les primaires vont entraîner un immense mouvement de mobilisation des Français qui doit nous accompagner jusqu’à la victoire. Je ne vois aucune raison, sauf l’impatience de l’un ou l’autre, de changer ce calendrier que les militants ont voté et que la grande majorité des dirigeants socialistes approuve.

Et vous, vous vous sacrifiez au nom de l’ambition collective? 
Je ne vois vraiment pas les choses comme cela ! Et quoi de plus enthousiasmant pour le chef du principal parti d’opposition que de préparer la victoire de la gauche en 2012? Nous devons avoir le plus beau projet et le meilleur candidat. La France en a besoin pour retrouver le chemin du développement et de la justice, et pour être à nouveau enviée et respectée dans le monde. J’ai la responsabilité de conduire ce travail collectif avec sérénité et, croyez-le bien, avec détermination. J’annoncerai ma décision personnelle en juin, comme notre calendrier le prévoit.

 

Assiste-t-on à une crise de l’euro ou à une crise de l’Europe? 
Il s’agit aujourd’hui d’une vraie crise de l’Europe. Mon père, Jacques Delors, plaidait déjà, lors de la création du Marché unique et de l’euro pour qu’une coordination des politiques économiques et une harmonisation sociale et fiscale existent. Malheureusement, nous avons fait l’euro, mais pas le reste. Le monde et l’Europe se retrouvent aujourd’hui soumis au diktat des banques et de la finance. L’Europe a-t-elle aujourd’hui la volonté de sortir de cette emprise pour préparer son avenir et retrouver l’idée de progrès? C’est la question majeure!

Les mesures prises sont-elles satisfaisantes pour calmer la crise financière? 
Je souhaite que les mesures prises pour l’Irlande et par la Banque centrale européenne ces derniers jours puissent éteindre l’incendie et calmer les spéculations. Il y va de l’intérêt de tous. Mais quand même, que de temps perdu! Il a fallu attendre cinq mois pour aider la Grèce. Et quelques-uns de plus pour créer un fonds d’intervention européen. Pour être capable de répondre à de nouvelles crises, il faut aujourd’hui pérenniser ce fonds. Il doit permettre à l’Europe d’aider les Etats qui n’arrivent pas à le faire, à financer leur dette à des taux d’intérêt acceptables, et avec des remboursements suffisamment étalés dans le temps. Il faut en effet donner du temps pour pouvoir assainir les comptes sans casser la croissance. Aujourd’hui, dans certains pays, les cures d’austérité qui sont imposées sont tellement dures qu’elles rajoutent de la crise à la crise.

"Taxer les transactions financières à 0,05%"

Faut-il faire payer les banques? 
C’est le système financier qui nous a menés dans le mur. Savez-vous que les Etats de l’Union européenne ont apporté 4.900 milliards d’euros aux banques depuis la crise, sans contrepartie? Et les bénéfices des banques, eux, vont bien! Il est temps de changer la donne: les banques privées doivent contribuer au financement des dettes des Etats. Il faut impérativement tirer les leçons de la crise en fixant des contraintes à la finance: des règles prudentielles pour les banques, un nouveau statut des agences de notation, une taxation des bonus et des stock-options… Mais il faut encore aller plus loin. Nous proposons avec les socialistes européens de taxer les transactions financières à 0,05%. Cela rapporte 200 milliards d’euros. Ce fonds pourrait aider l’Europe à réduire les déficits, mais aussi à relancer son économie et à préparer l’avenir par de grands plans d’investissement dans le domaine de l’énergie, de la recherche, de la formation, des infrastructures… L’Europe pourrait aussi emprunter sur les marchés internationaux, en émettant des eurobonds, pour accroître encore son action en la matière. C’est une condition pour retrouver le chemin de la croissance sans laquelle il n’y a ni emploi ni progrès.

L’action de Nicolas Sarkozy pour faire face à la crise de l’euro vous paraît-elle à la hauteur? 
Nicolas Sarkozy a contribué avec d’autres gouvernements à éteindre les incendies. Mais ce qu’on attend aujourd’hui des dirigeants européens, c’est d’adopter une véritable régulation financière, ce qui n’a été fait ni en Europe ni au G20, et de mener une action volontariste pour la croissance et l’emploi. Nous en sommes loin!

L’Allemagne dirige-t-elle l’Europe aujourd’hui? 
L’Allemagne a certes l’économie la plus forte de l’Europe. Cela lui donne des avantages mais lui confère aussi des devoirs si l’on veut que l’Europe reprenne sa marche en avant. L’Europe n’avancera pas sans coopération, ni d’ailleurs sans une relation forte franco-allemande fondée sur la parité. C’est la raison pour laquelle je travaille avec le SPD allemand bien sûr, mais aussi avec l’ensemble des partis socialistes européens.

Côte d'Ivoire: Gbagbo "se doit de respecter le choix de son peuple"

Des socialistes sont allés en Côte d’Ivoire. Quelle est la position du PS sur la situation en Côte d’Ivoire? 
Les socialistes qui sont allés en Côte d’Ivoire y sont allés en leur nom propre. Les Ivoiriens ont voté et c’est un immense progrès. La Commission électorale indépendante et l’ONU ont annoncé les résultats et la victoire d’Alassane Ouattara. Le président sortant se doit de respecter le choix de son peuple et de tout faire pour garantir la paix civile. C’est ce que demande la communauté internationale. C’est ce que nous souhaitons.

Nicolas Sarkozy a proposé une concertation en 2011 pour préparer la loi sur la dépendance. Quelles seront les propositions du PS? 
C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je pense qu’accompagner chaque personne âgée jusqu’à la fin de sa vie, dans les meilleures conditions possibles, est une obligation pour notre pays. J’ai beaucoup travaillé comme ministre pour la création de l’allocation personnalisée d’autonomie. Les principes restent les mêmes. Chaque personne âgée est différente: elle a ses choix personnels de vie, un état de santé et des revenus particuliers. Elle doit pouvoir choisir de rester chez elle ou d’aller dans une résidence collective. Mais elle doit pouvoir compter sur la solidarité nationale. Le président de la République a de manière très inquiétante fait référence aux assurances privées. Pour nous, le problème doit être réglé par la carte vitale, symbole de la solidarité nationale, et non par la Carte bleue!

Mais le vieillissement de la population va forcément entraîner des coûts supplémentaires… Comment financerez-vous ces nouveaux besoins? 
Tout le monde doit contribuer financièrement à cette prise en charge, y compris les personnes âgées elles-mêmes. Mais je suis convaincue qu’une attention de chacun aux personnes âgées de sa famille, de son voisinage, de sa commune, pour les aider dans leur vie quotidienne, pour lutter contre leur isolement, est un élément important de la réponse.

"Annoncer la suppression de l’impôt sur la fortune, c’est insupportable"

Le Président propose une réforme fiscale incluant la fin du bouclier fiscal et la suppression de l’ISF. Qu’en pensez-vous?
Franchement, annoncer aujourd’hui la suppression de l’impôt sur la fortune, c’est proprement insupportable. Les Restos du cœur qui ont rouvert cette semaine sont déjà saturés. On ne compte plus le nombre de familles qui renoncent à se faire soigner, faute de moyens. La crise du logement est gravissime en France, comme vient de le rappeler la fondation Abbé Pierre. Regardez le nombre de sans-abri dans nos rues! Et un jeune sur quatre vit sous le seuil de pauvreté. Face à ces réalités effrayantes, que faire pour permettre à chacun de vivre décemment? Les socialistes apportent chaque jour des réponses. Un exemple parmi d’autres qui ne demande pas de ressource supplémentaire: la construction des logements sociaux nécessaires à notre pays peut être financée par une réduction des avantages fiscaux donnés aux propriétaires immobiliers. La politique, c’est faire des choix. Quand Nicolas Sarkozy propose de supprimer l’ISF, il fait encore le choix de donner toujours plus à ceux qui ont déjà tout.

Dans quel état sera la France en 2012? 
Un pays qui n’est plus lui-même parce qu’il a oublié la justice. Un pays qui se voit en déclin alors qu’il a tant d’atouts. C’est un immense gâchis. Les Français en souffrent. Mais je sais qu’ils aspirent à retrouver la France qu’ils aiment et qu’ils sont prêts à se mobiliser pour cela. Regardez comme ils ont refusé ce qui abaisse notre pays: le débat sur l’identité nationale, la stigmatisation des étrangers comme des Roms. Je sais qu’ils se mobiliseront pour nous permettre de rendre la France plus forte et plus fraternelle.

En 2012, le PS va rouvrir la boîte à promesses? 
La seule et énorme boîte à promesses que je connaisse, c’est celle que Nicolas Sarkozy a ouverte! Rappelons-nous: "Travailler plus pour gagner plus; "je serai le président du pouvoir d’achat;"j’instituerai une République irréprochable"… Et puis: "Je poursuivrai les banquiers voyous"; "je ramènerai la sécurité"… Sur tout cela, on connaît les résultats! Alors nous, nous ne serons pas des marchands d’illusion. C’est pourquoi nous présenterons aux Français un projet clair, avec des priorités, et leur financement. Je le dis très simplement: tout ne sera pas possible dès 2012, mais tout ce qui sera possible sera fait.

Publié dans PS

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