Le «nouveau Sarkozy», une ficelle trop usée

Publié le par DA Estérel 83

Mediapart

 

      C’est comme le tube de l’été, dont on ne sait jamais si c’est le fait que les médias en parlent qui fabrique le tube ou si les mêmes médias ne font que relayer ledit tube. Sarkozy change, Sarkozy se «présidentialise», se «re-présidentialise». Ce mardi, au lendemain de sa vraie-fausse conférence de presse, essentiellement consacrée au G-20 mais pas que, la presse donne à nouveau dans l’antienne du «nouveau président».

 

La Une de Courrier Picard du 25 janvier 2011 

La Unede Courrier Picard du 25 janvier 2011© (DR)

Dans Les Echos, Henri Gibier estime ainsi que «l'hyperprésident va devenir (...) une sorte de supraprésident, au-dessus des partis et presque au-dessus de son pays». Rémi Godeau, de L'Est républicain, enchaîne et croit lui aussi que «le crypto-candidat à 2012 veut capitaliser sur ses réussites passées à l'international – Géorgie, crise financière – pour mieux se représidentialiser». Didier Louis, du Courrier picard, assure également que «pour son grand oral devant les journalistes, Nicolas Sarkozy avait choisi un classique de la Ve pour chef d'Etat aspirant à se représidentialiser». «Sarkozy semble avoir compris qu'il fallait qu'il se “présidentialise”. Mais ce revirement n'arrive-t-il pas trop tard?» se demande pour sa part Jean-Marcel Bouguereau (La Républiquedes Pyrénées). Enfin, Laurent Marchand du quotidien Ouest-France, souligne que «c'est un nouveau style que Nicolas Sarkozy a étrenné. Pas de volontarisme. Pas d'envolée lyrique sur la refondation du monde, de sa finance, de son ordre. Pas de détails people. Pas d'accrochage avec les plumes les plus acides de la presse française. Pas de phrase choc ni de réflexe d'autodéfense».

Rien de moins.

Et pourtant comme une impression de déjà-vu. Déjà revu même. Déjà re-revu, re-re-revu.

Il faut remonter loin, bien loin, pour avoir, déjà, du «nouveau Sarkozy». C’est le titre d’un article de Catherine Pégard, dans Le Point du 27 octobre 2005. Nicolas Sarkozy est revenu depuis quelques mois au gouvernement de Dominique de Villepin à la suite du référendum perdu du 29 mai. Durant l’été, Cécilia a fait des siennes lors d’une escapade amoureuse à New York avec Richard Attias. Catherine Pégard, qui rejoindra l’Elysée en 2007, écrit alors : «Cet été, il a flotté, retenu, mécaniquement, par son métier politique. Aujourd'hui, c'est la curiosité pour une autre étape de sa vie personnelle qui semble le convaincre de repasser à l'offensive.» Ça n’a manifestement pas suffi puisque moins d’un an plus tard, la même Catherine Pégard, dans Le Point du 10 septembre 2006, se sent obligée de titrer un autre article «Le nouveau costume de Sarkozy». «Nicolas Sarkozy n'est déjà plus tout à fait le même», écrit-elle après que le futur candidat a été la star des journées d’été du parti. «A Marseille, ceux qui se retrouvaient dans son sillage ont été frappés par une sorte de distance et de gravité nouvelles.» A noter qu’à Marseille, Cécilia était revenue.

Et rebelote le 12 octobre de la même année, un article non signé du Point.fr s’intitule «Le nouveau style de Sarkozy». Deux nouveaux styles en moins d’un mois? Oui. Car «derrière le bouillonnement apparent du jeu politique, Sarkozy vit sans doute, avec un peu de vertige, un tout autre moment de sa carrière politique. Invisible. Intime. On le cherche sur cette “rupture” qu'il brandit à tout bout de champ, mais lui-même vit aussi une rupture, à la veille de la campagne: il entre dans la peau de celui qu'il pourrait devenir, et cela ne va pas sans renoncement et sans dépouillement.»

Trois styles en un an. Mais ça ne va pas s’arrêter. Le 14 janvier 2007 se tient le congrès de l’UMP lors duquel Sarkozy est officiellement intronisé candidat. Et que va dire le futur le président ? «J’ai changé » bien sûr!

La presse du 15 janvier 2007 

La presse du 15 janvier 2007© (DR)

«C’est un tournant dans l’histoire politique de notre pays, la charnière du XXe et du XXIe siècle», commentait en soirée Christian Estrosi. «La politique ne pourra plus jamais se pratiquer comme ces dernières années», concluait ce proche du candidat.

Une preuve que le candidat a bien changé ? Deux jours après, dans Le Parisien, Sarkozy «prend l’air du large» et insiste : «Je veux rester humble.»

Passe la campagne. Elu, Sarkozy n’a plus l’air trop «humble» : dîner au Fouquet’s au soir du second tour, vacances sur le yacht de Vincent Bolloré dans la foulée… Et même sa vie privée le rattrape : séparation avec Cécilia, affaire du SMS, mariage avec Carla à l’hiver 2008. La pipolisation du candidat énerve, à droite comme à gauche, et le président dégringole dans les sondages.

 

 Couverture des hebdos en février 2008

Couverture des hebdos en février 2008© (DR)

 

En mars 2008, coup de tonnerre politique pour, comme aiment à le rappeler certains journaux, le «président le mieux élu de toute la Ve République» : la droite est défaite aux municipales.

Que peut faire Sarkozy, à part re-re-changer évidemment ?

Dès le 16 mars, jour même du second tour des municipales, 20 Minutes n’hésite pas à titrer «Un nouveau Sarkozy attendu dès demain lundi». «Le changement le plus notable pourrait concerner Nicolas Sarkozy lui-même», écrit le site qui explicite, «en clair, tenter de donner une image plus présidentielle à Nicolas Sarkozy». Le journal poursuit :«L'agenda du chef de l'Etat, la semaine prochaine, illustre déjà cette volonté de changer de registre. La mort du dernier combattant français de 1914-1918, Lazare Ponticelli, lui offre l'occasion d'un hommage aux “poilus” de la Grande Guerre, qui l'occupera une grande partie de lundi. Et le lendemain, il prendra physiquement et symboliquement de la hauteur en se rendant au plateau des Glières (Haute-Savoie), pour un hommage aux maquisards de la Seconde Guerremondiale.» Ce qui fait dire le 18 mars à France Info : «Les nouveaux habits présidentiels de Sarkozy», article dans lequel on nous précise, au cas où, que «Nicolas Sarkozy devrait surtout s’attacher désormais à adapter son style, pour le rendre plus présidentiel». Une «analyse» reprise par La Croix, pour qui «Sarkozy endosse ses habits de “nouveau président” aux Glières».

France-3 ne s’y trompe pas qui lance un reportage en parlant d’une «semaine à posture très présidentielle» :

 

N’en jetez plus, le nouveau Sarkozy nouveau est arrivé. Et si l’analyse de la presse ne suffit pas, c’est le président lui-même qui nous le dit : «Sans doute j’ai fait des erreurs.» Au cours d’une émission télévisée du 24 avril 2008, sobrement intitulée «En direct de l’Elysée», il se livre à un mea culpa en bonne et due forme.

Le Point du 25 avril nous le confirme: «Plus humble mais toujours déterminé, Sarkozy veut ouvrir une nouvelle page» et Le Figaro approuve sous la plume de Charles Jaigu : «Excédant les 90 minutes prévues, il a fait, en cent minutes d'entretien, la plus longue intervention télévisée depuis son entrée à l'Élysée, il y a un an. Cent minutes pour un président plus sobre, plus “présidentiel”.» Dans le même quotidien, Etienne Mougeotte a décelé deux nouveautés «sur la forme» dans l’intervention du chef de l’Etat. «Une forme d’humilité très nouvelle» d’abord, et «une posture véritablement présidentielle comme si le “candidat Sarko” avait définitivement cédé la place au président Sarkozy» ensuite.

Eric Mandonnet, dans L’Express, parle tout simplement de Sarkozy le «pacificateur», tandis que TF1 y voit un «Sarkozy gaullien». Et le politologue Dominique Reynié, interrogé par l'AFP, estime que le chef de l'Etat «a fait une prestation de correction, manifestement destinée à corriger l'image précédente d'une personne qui n'avait pas les caractéristiques du rôle: autorité, vision, sang-froid».

Un peu de répit en cette fin d’année 2008. En juillet, la France prend la présidence tournante de l’UE, en août, Nicolas Sarkozy s'active lors des négociations pour un cessez-le-feu entre la Russie et la Géorgie après les violents affrontements en Ossétie du Sud. Et puis la crise est là, donnant au président l’occasion de vibrants appels à la régulation de l’économie mondiale. En juin 2009, l’UMP termine en tête du scrutin (à un tour) des européennes. Les hebdos sont dithyrambiques.

La Une du Nouvel Obs 

Mais deux précautions valant mieux qu’une, Sarkozy prend les devants et déclare au Nouvel Obs : «J’ai commis des erreurs.»

Petite phrase que les radios vont reprendre en boucle pour nous refaire le coup du «nouveau président».

Manque de chance, en octobre 2009, vient l’affaire Epad. Le fils du chef de l’Etat est candidat à la présidence de cet organisme gérant la Défense, rien de moins que le plus grand centre d’affaires français.

Et patatras en mars 2010 : la droite est lourdement défaite aux élections régionales. Il est plus que temps que Nicolas Sarkozy «re-présidentialise» son mandat. Et d’ailleurs, ce sont les Français qui le demandent. «Les Français veulent un nouveau Sarkozy» titre donc Europe-1 à la lecture d’un sondage commandé à CSA au soir du second tour des élections, le 21 mars.

Aussitôt lu, aussitôt vu. Le Figaro nous conte le 8 avril une rencontre entre Sarkozy et des députés UMP. «Il nous a dit qu'il allait faire attention à son style. Qu'il allait faire preuve d'humilité car son énergie et sa détermination pouvaient être perçues comme de l'arrogance et de la suffisance», rapporte une élue de Perpignan, ravie d'avoir pu parler«franchement» au président. «J'ai senti qu'il avait besoin de retrouver les racines du territoire», raconte Jean-Marc Roubaud, député du Gard.

Et dans Le Figaro du 30 avril 2010, «Sarkozy rode son nouveau style présidentiel» : «Peu à peu, Nicolas Sarkozy campe le décor de la fin de son quinquennat. Il le fait depuis la Chine, accompagné de son épouse, Carla Bruni. Un décor conçu pour dissiper la mauvaise image personnelle brouillonne ou fébrile qui s'est installée ces derniers mois dans l'opinion.» Mediapart raconte : «C'est la “leçon” politique de la semaine, dispensée aux médias par l'Elysée: Nicolas Sarkozy serait en pleine “re-présidentialisation” – le préfixe “re” disparaissant même dans la bouche de certains conseillers...»

Le 30 juin, le chef de l’Etat annonce un remaniement pour… octobre, qui «ouvrira une nouvelle étape». Un calendrier qui ne bougera pas malgré les révélations en cascade de l’affaire Bettencourt-Woerth. Le 12 juillet 2010 même si toute l’affaire n’est pas encore connue, la prestation du chef de l’Etat est très attendue. Et les éditorialistes appellent eux-mêmes un «nouveau Sarkozy» !

Le nouveau Sarkozy ne sera pas si nouveau lors de son discours de Grenoble fin juillet, annonçant un tour de vis sécuritaire. Et le gouvernement n’aura pas non plus beaucoup d’habits neufs lors du remaniement mi-novembre 2010.

Mais ça n’empêchera pas Midi Libre de titrer le 16 novembre 2010 «Les nouveaux habits de Nicolas Sarkozy», au lendemain de la prestation du chef de l’Etat à la télévision. Aurait-il reconnu des erreurs ? Bien sûr que oui, comme l’explique L’Express. Il est même allé jusqu’à avouer qu’il n’était «pas infaillible», c’est dire. Europe-1 en fait son buzz du jour : «le Sarkozy de 2010 n’est plus celui de 2007». Mais est-ce que c’est celui de 2008, de 2009 ? On ne le saura pas. Toujours est-il que même Mediapart a vu un président «tout miel, griffes limées».

Et 2011 ? On y vient. Avant même la conférence de presse de lundi, des signes avant-coureurs d’un nouveau Sarkozy étaient là. Midi Libre, le 1erjanvier, titrait déjà «Reconquête» et le Républicain lorrain, le 10 janvier, expliquait : «Le chef de l’Etat s’amuse de “deux choses qui sont des marronniers : le nouveau Sarkozy et le fait que je rentre en campagne.” De fait, ces marronniers sont en train de refleurir en plein hiver. En particulier le “nouveau Sarkozy”. C’est un président plus serein que s’applique désormais à vendre l’Elysée. “Mon rôle est de prendre des distances avec la chaleur de l’actualité quotidienne, relève le président, je m’inscris dans un autre temps.”»

La boucle est bouclée.

 

Publié dans SARKOZY

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