Monsieur le Président, où est le rêve ?

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

Lançant sa campagne présidentielle au Bourget, en Seine-Saint-Denis, le 22 janvier, François Hollande promettait de commencer « par le rêve », condition pour que la gauche n’échoue pas, une fois encore, face à son adversaire de toujours, « le monde de la finance » (sur Mediapart, le discours est ici et tous les discours du candidat Hollande sont ). Deux mois après son installation à l’Elysée, le 15 mai, c’est l’évocation de ce« rêve français » qui semble tenir d’un éphémère rêve électoral. Au-delà d’un apaisement démocratique bienvenu après une décennie marquée par l’hystérie sarkozyste, aucun signal fort n’a été donné par le nouveau pouvoir socialiste, son président, son gouvernement et sa majorité, dans le sens d’une radicale refondation républicaine autour des idéaux de justice et d’égalité.

« Ils ont échoué parce qu’ils n’ont pas commencé par le rêve. » La drolatique, car erronée, attribution à Shakespeare de la citation qui résumait la tirade finale du discours du Bourget signifiait-elle un pur emprunt de circonstance, sans sincérité ni cohérence ? Pourtant celui qui n’était alors que le candidat des socialistes à la présidence de la République n’avait pas lésiné sur son commentaire au point de filer la métaphore du « rêve français » qui était déjà le titre et le thème de son livre paru à l’automne 2011, à la veille de la campagne des primaires où il avait affronté cinq autres prétendants (Martine Aubry, Jean-Michel Baylet, Arnaud Montebourg, Ségolène Royal, Manuel Valls). 

« Eh bien, lançait le Hollande du Bourget, nous réussirons parce que nous commencerons par évoquer le rêve ! Le rêve français, c’est la confiance dans la démocratie, la démocratie qui sera plus forte que les marchés, plus forte que l’argent, plus forte que les croyances, plus forte que les religions ! » Ancrant ce rêve français qu’il souhaitait« ré-enchanter » dans la longue marche des idéaux républicains, de la Révolution française à Mai 68, en passant par la Libération et le Conseil national de la Résistance, François Hollande répondait par avance aux conservateurs moqueurs qui opposent le rêve à la réalité pour mieux renoncer à la transformer.

Non, ce n’est pas « une chimère » et ce n’est pas « mettre la tête dans les étoiles », insistait-il, que de « retrouver le récit républicain, celui qui nous a fait avancer pendant des décennies, le récit de la Révolution française, de ces hommes, de ces femmes aussi, qui ont voulu avancer dans une histoire inconnue qui s’ouvrait sous leurs yeux, qui était l’histoire de l’égalité humaine ». Le candidat socialiste appelait donc à une mobilisation des énergies, des enthousiasmes et des audaces face à un adversaire clairement désigné : « Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en vingt ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. (…) Cette emprise est devenue un empire. »

Comme dans un symbole rétrospectif, ces fortes paroles furent prononcées en Seine-Saint-Denis, « ce département aux multiples couleurs, le plus jeune de France, qui accumule tant de difficultés, et qui en même temps recèle tant d’atout », ainsi que le saluera dès ses premiers mots l’orateur. Or c’est ce même département qui, avec la fermeture annoncée de l’usine Peugeot d’Aulnay, est aujourd’hui le théâtre de l’offensive des marchés, de leurs exigences de profit financier et de leur indifférence à la richesse solidaire, avec la charge destructrice de PSA contre l’emploi et, plus largement, contre le travail, sa valeur et sa dignité. Hasard bavard qui souligne l’actualité d’un réformisme radical ou d’une radicalité pragmatique, dans tous les cas d’une ambition qui s’attaque aux racines de nos maux sociaux et démocratiques. Car l’irréalisme n’est pas du côté du rêve républicain, mais du côté d’une folie financière destructrice du travail des hommes et des richesses de la nature.

« Ce qui est en cause, c’est la souveraineté de la République face aux marchés », affirmait encore François Hollande, dans la foulée de son discours du Bourget en présentant les soixante engagements de sa présidence. « Un vrai changement », promettait-il face à une situation calamiteuse dont, une fois encore, le premier responsable désigné était« la finance ». Un changement que dessinaient alors les mots« justice »« égalité »« Etat impartial »« morale publique ». Un changement qui, surtout, se ferait avec l’aide de la société et de ses acteurs qui « doivent être mobilisés pour le bien public »« Refuser cette fatigue sociale, cette fatalité économique, ce discrédit moral » : à cette ambition fixée par le Hollande du Rêve français (Privat), en 2011, répondait cette promesse du même en 2012, en introduction de son programme : « Ce changement, je le construirai avec vous ».

Rigueur immédiate, espérance lointaine

Ce sont des mots d’hier à peine, et pourtant ils semblent déjà très loin. Si l’on s’impose tous ces rappels, c’est qu’une politique se juge à ses engagements. François Hollande n’avait certes pas promis la lune et était resté ferme sur un credo gestionnaire qui laissait entrevoir les mesures d’austérité récemment annoncées. Mais il n’aurait jamais remporté la présidentielle s’il n’avait pas associé cette rigueur à une espérance, se refusant, du moins en paroles, à opposer la contrainte budgétaire au changement démocratique et social. Deux mois ont passé depuis son installation à l’Elysée, et le décrochage de l’une et de l’autre semble inéluctable : la rigueur est d’actualité immédiate, tandis que l’espérance devient lointaine. 

Ces dernières semaines, la rédaction de Mediapart en a tenu la chronique minutieuse, assumant sans état d’âme son rôle de vigie critique des pouvoirs, de leurs promesses et de leurs réalisations. Une séquence internationale, essentiellement européenne, marquée par l’habileté plutôt que la créativité : l’ajout d’un petit pacte de croissance ne suffira pas à enrayer l’engrenage de dépossession politique inscrit dans le pacte de stabilité budgétaire, tandis que ne s’avoue aucunement défaite l’idéologique libérale qui est au moteur de la crise (lire l'article de Martine Orange: Europe: retour à la case départ). Une conférence sociale plombée par l’insistance présidentielle sur la compétitivité des entreprises, antienne patronale qui désigne le coût du travail comme le problème principal, ainsi que par l’évocation d’une hausse de la CSG, maladroite resucée de la TVA sociale sarkozyste, mais surtout immédiatement effacée par l’offensive brutale des milieux d’affaires dans le secteur de l’automobile (retrouver tous nos articles dans ce dossier: Social: l'état d'urgence).

Une session extraordinaire du Parlement à l’ordre du jour bien peu rempli, à tel point que les vacances des députés viennent d'être prolongées faute de textes prêts (lire ici notre confidentiel). Pourtant on aurait pu et dû s’attendre à la mise en œuvre rapide de réformes institutionnelles ou sociétales qui étaient au cœur des engagements de campagne. Des réformes dont la portée symbolique aurait manifesté la détermination du nouveau pouvoir à défaire le système, mélange de mauvaises habitudes, de renoncements anciens et de clientélismes routiniers, qui a produit l’excès sarkozyste. Qu’en est-il, par exemple, du statut du chef de l’Etat, de la rente offerte aux anciens présidents, de leur présence inamovible au Conseil constitutionnel ou de la Cour de justice spécialement réservée aux ministres dont la suppression était promise ? Ou, mieux encore, de la liberté de l’information dont l’urgente refondation d’ensemble – conflits d’intérêts, aides publiques, révolution numérique, etc. – est réduite à une promesse automnale de réforme des nominations dans l’audiovisuel public ou à la seule question de la protection du secret des sources ?

Non seulement l’ordre du jour de cette session estivale du Parlement n’offre pas la pédagogie dynamique d’un changement véritablement à l’œuvre, mais, de plus, son ordinaire s’accompagne de la persistance de comportements politiques que l’on aurait pu croire révolus. C’est ainsi que l’audition de Jean-Pierre Jouyet, à propos de sa contestable nomination par son ami François Hollande à la tête de la Caisse des dépôts et consignation (lire l'article de Laurent Mauduit), a parfaitement illustré ce tropisme présidentialiste qui incite à la soumission : aucune des questions politiquement sensibles, notamment sur sa participation au premier gouvernement de la présidence Sarkozy, n’a été posée par les députés de gauche, toutes sensibilités confondues (lire l'article de Mathieu Magnaudeix). Alors même qu’il y avait là, pour les parlementaires, une belle occasion – la première – de manifester leur indépendance d’esprit face au désir élyséen et de montrer ainsi que, désormais, le contrôle des nominations présidentielles ne serait plus une vague formalité, transformant les élus de la Nation en chambre d’enregistrement du fait du Prince.

Un Parlement ainsi soumis sera forcément un Parlement dépossédé, laissant le champ libre à ces missions et ces expertises confiées par l’exécutif à des personnalités qui lui sont totalement redevables, excroissance de la technostructure des cabinets qui, parfois, aimerait tant gouverner sans l’embarras de la délibération parlementaire. Y compris pour l’avenir de la loi Hadopi, confiée au missionné Pierre Lescure dans un flagrant conflit d’intérêts (lire la démonstration de Laurent Mauduit), ces délégations irresponsables et manipulables – dont la Commission Attali sur la croissance ou Balladur sur les institutions avaient été les exemples caricaturaux sous Sarkozy – semblent toujours d’actualité. La promesse était pourtant de rendre au Parlement ses pouvoirs d’initiative et de contrôle, bref d’en faire de nouveau le lieu premier d’élaboration des lois et normes communes.

Alors que, grâce à cette prime majoritaire indue qu’offre le présidentialisme au seul parti dont est issu le président élu, jamais le Parti socialiste n’a contrôlé autant de leviers de pouvoirs, ses responsables semblent donc pressés de ralentir leur effort, plus soucieux de rassurer que de mobiliser. Il ne s’agit certes pas d’un reniement massif et brutal, mais d’une sorte d’engourdissement, entre lenteur et pesanteur, dont la laborieuse déclaration de politique générale du premier ministre, Jean-Marc Ayrault, fut emblématique. A tel point que, plutôt que de s’adresser au pays et de rassembler ses citoyens, la direction socialiste paraît plus pressée de verrouiller par avance le prochain congrès de son parti, en empêchant toute dissonance, appliquant aux militants socialistes cet alignement sans débat sur la politique présidentielle exigé par le PS de ses alliés gouvernementaux (lire l'article de Lenaïg Bredoux).

Défi du temps, urgence du rêve

Deux mois ne font certes pas un quinquennat. Que jusqu’ici, le nouveau pouvoir se soit plutôt préoccupé de ses adversaires anonymes de la finance, afin d’éviter leur sanction, que de ses partisans déclarés, dont il n’a pas recherché la mobilisation populaire, ne signifie pas que, sous l’épreuve d’événements ou le sursaut de mobilisations, il ne se rappelle pas l’origine de sa légitimité électorale. Toujours est-il que cette scène introductive le montre plutôt naviguant précautionneusement entre des écueils innombrables, avec comme premier souci d’affirmer son sérieux, sa responsabilité, sa cohérence et sa prudence. Ne pas brusquer, ne pas précipiter, ne pas provoquer. Et faire passer en priorité le message de la contrainte et de l’effort, plutôt que celui de l’invention et du rêve.

Chez François Hollande, cette attitude n’est pas de circonstance, et renvoie à une conviction ancienne sur la question du temps en politique. Son ambition, de longue date, est de faire mentir la fatalité, entretenue par la vulgate réactionnaire, selon laquelle la gauche n’accède au pouvoir que par effraction ou accident, et s’avère toujours impuissante à y rester durablement. « C’est toujours plus difficile pour la gauche, expliquait-il en 2006 dans Devoirs de vérité (Stock)La droite n’a pas nos pudeurs. Elle n’a même pas besoin de réussir pour être légitime. Elle a longtemps disposé d’une présomption de bonne gestion, avant de faire la démonstration de son impécuniosité. » Témoin des victoires électorales de 1981, 1988 et 1997, toujours suivies de défaites, souvent cuisantes, le défi qu’il revendique pour la gauche est celui de la durée. 

« La gauche a exercé le pouvoir pendant plusieurs années, et c’est un fait considérable dans notre histoire, expliquait-il dans le même ouvrage où il se confiait avec la liberté de celui qui n’est pas en situation d’être candidat. Mais elle ne l’a pas exercé continûment. Ça change tout. Elle a installé l’idée de l’alternance, processus tout à fait nouveau dans l’histoire politique française, mais elle n’a pas été capable d’installer une logique de succès. La conséquence, c’est qu’elle a gardé la fatalité de l’échec. (…) Faire mentir cette malédiction est tout l’enjeu non de 2007, mais de l’exercice du pouvoir qui suivra, dans l’hypothèse d’une victoire. » Enjeu qui, évidemment, vaut d’autant plus en 2012 maintenant qu’il y tient le premier rôle. François Hollande et Jean-Marc Ayrault raisonnent donc avec cette vision d’un temps long que la gauche doit réussir à conquérir et à maîtriser.

Sans doute justifieraient-ils ainsi les précautions qui dominent leurs premiers actes : installer la perception d’une longue durée de l’action politique, à rebours de l’agitation présentiste de la présidence sarkozyste. Et sans doute ajouteraient-ils, de surcroît, que cette façon de faire rencontre les attentes d’un pays convalescent tant il est lassé d’avoir été brutalisé, bousculé et humilié par le pouvoir d’en haut. Mais, ce faisant, le nouveau président de la République et son premier ministre raisonnent comme s’ils étaient seuls à fixer le temps, son calendrier et son agenda. Comme si leur futur se présentait comme une histoire linéaire, sans événements, accidents et imprévus. Et, surtout, comme s’ils pouvaient se passer d’un rapport de forces à construire, avec la société, pour relever les immenses défis qui sont les nôtres et dont le règlement suppose d’affronter des intérêts solidement organisés et fortement déterminés. 

En faisant le choix de ce temps long plutôt que de la mobilisation immédiate, que recommandait entre autres le collectif citoyen pluraliste Roosevelt 2012, François Hollande prend un triple risque. D’abord celui d’être démuni face à l’offensive des milieux patronaux, économiques et financiers, qui, comme toujours, chercheront à forcer leur avantage sous la gauche de gouvernement, en voulant l’obliger à devenir leur alliée face aux travailleurs, à leurs résistances et à leurs revendications. Ensuite d’être défait par un système institutionnel dont la présidence Mitterrand et le gouvernement Jospin ont montré qu’il était plus fort que la volonté de ses acteurs, les amenant à aggraver le présidentialisme qu’ils entendaient réformer ou combattre et, par conséquent, son désastre démocratique dont la persistance et le renforcement de l’extrême droite sont les résultantes. 

Le troisième risque, enfin, est celui d’une démobilisation populaire, propice à toutes les régressions sociales et démocratiques, alors même qu’en 2006, François Hollande en faisait le danger principal pour une gauche au pouvoir. Soulignant qu’elle se retrouverait « dans ce système, avec ses limites, ses faiblesses et ses pièges », il l’appelait à ne pas se reposer sur « la vertu du candidat élu » mais à construire « ailleurs »une majorité politique. Ailleurs, c’est-à-dire « dans le pays, ses profondeurs, ses mouvements, ses syndicats, ses associations. Revenue au pouvoir, la gauche ne devra pas se comporter comme si elle avait reçu un chèque en blanc pour cinq ans. Mieux vaut créditer le compte régulièrement plutôt que de constater, le moment venu, le défaut de provision ».

Faute d’avoir commencé par le rêve, son réalisme concret et son ambition pragmatique, le compte de cette présidence risque de se dégarnir bien vite. Et l’horizon, dans ce cas, après cette victoire fragile du 6 mai face au candidat d’une droite devenue extrême, risque de s’assombrir aussi rapidement. C’est pourquoi la gauche qui, aujourd’hui, gouverne ferait bien d’entendre toutes celles et ceux qui lui disent qu’il est temps d’en revenir à l’essentiel, qui n’est pas l’agenda comptable fixé par les marchés et leurs financiers. « A force de reporter l’essentiel au nom de l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel », n’a cessé de lancer Edgar Morin à l’attention d’une gauche qui l’a trop souvent déçu. Autrement dit, la longue durée en politique dépend d’abord du bon choix des urgences. Et ceux qui ont échoué, soulignait le Hollande candidat, n'avaient pas commencé par le bon début, c'est-à-dire par le rêve.

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Mis en ligne à la veille de l'intervention présidentielle du 14 juillet, cet article termine la série Où va la France? (retrouvez ici tous les articles), commencée le 17 janvier et dont les quatorze épisodes ont accompagné le tournant politique vécu par notre pays.

Publié dans HOLLANDE

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