Xénophobie salonnarde : le retour

Publié le par DA Estérel 83

Le Point  Par Eva JOLY

 

 

 

La candidate écologiste répond à la chronique de Patrick Besson parue la semaine dernière.

Eva Joly, candidate EELV à la présidentielle.

Tordant, votre dernière chronique, M. Besson ! Impayable, l'imitation de mon accent ! "Zalut la Vranze !" Et vous avez tellement raison : une femme, même pas bien née, étrangère au surplus, à l'Élysée, c'est d'un cocasse ! À l'unisson des éditorialistes, mais avec en plus votre humour si fin, vous apportez votre touche à l'indignation nationale qui entoure ma scandaleuse candidature ! Et je suis sûre que vous avez encore bien d'autres talents. Le dimanche en fin de repas, vous faites aussi l'accent maghrébin, l'accent africain, non ? Mais ne réservez pas ces perles à vos proches, faites-en profiter toute la France ! Voyons voir... Demain, vous en prendrez-vous à M. Valls, Mme Dati ou Mme Yade, qui n'auront pas eu la chance d'être bien nés soit sur la bonne terre, soit avec les bonnes origines ? Quoi ? Ce n'est pas drôle ? Ah oui, j'oubliais : je n'ai pas votre humour, parce que je ne suis pas française de souche.

Mais je vous ai compris, M. Besson. Comme beaucoup de fins esprits, de brillants causeurs du beau monde, vous êtes un peu orphelin. Parce que l'esprit français fout le camp. Avant, on pouvait rire de tout. Dans les salons, cela ne choquait personne de rire un peu de nos grands enfants des colonies. Puis on dissertait, au fumoir, de l'influence du lobby juif, entre soi. Aujourd'hui, les vrais Français comme vous sont persécutés par le politiquement correct. C'est vrai qu'ils ont été méchants avec vous, les apôtres de la pensée unique, les gauchistes, les droits-de-l'hommistes. Mais c'est que vous choisissez vos causes comme d'autres leurs chemises, sans doute souvent avec distinction, mais jamais avec discernement.

Je sens votre consternation : j'essaie d'avoir votre ironie mordante, mais ce n'est pas mon fort. C'est vrai. Alors, parlons sérieusement. Je ne vais pas vous embêter avec mon programme : la sortie du nucléaire, la conversion écologique de l'économie française, tout cela, c'est pour les raseurs, pas pour les petits marquis germanopratins dont vous êtes l'exquise quintessence. Ne jamais parler du fond, c'est vulgaire. Parlons alors de la forme. Pourquoi préférez-vous, comme Jean-Marie Le Pen, me prêter un accent allemand plutôt que norvégien ? Pourquoi moquer l'accent allemand est acceptable quand moquer l'accent antillais ou yiddish ne l'est pas ? N'y aurait-il pas, pour vous, des peuples victimes et des peuples coupables ? Il ne faudrait pas rire des premiers, mais on pourrait se lâcher sur les seconds ?

Comme M. Fillon, vous vous souciez de mon problème d'intégration. Je fais de mon mieux. Pourtant, malgré ce handicap de départ, à vrai dire impossible à surmonter, j'arrive tout de même à discerner dans votre pastiche, au-delà de la gaudriole, un écho sincèrement triste et nostalgique : celui d'un monde perdu à jamais, un monde où la France était un empire, où la France avait un ennemi héréditaire et où l'élite du pays en imposait. Chacun était à sa place. Libre à vous de faire de moi l'incarnation de vos détestations et de vos désillusions, mais sachez écouter ce qui parle en vous. Vos bons mots vous rendent sourd à la haine qui s'installe dans le débat politique, et dont vous vous faites le ventriloque zélé.

Alors, si moquer ma bizarrerie, mon amateurisme, mon accent, mon étrangeté peut vous consoler, ne vous privez pas, mais faites-le en conscience. Je n'ai rien contre vous, M. Besson. Car il y a plus éloquent que votre éditorial, ses mauvais calembours et ses tristes saillies, c'est l'étonnant silence qui l'entoure.

Publié dans Billet

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