Quand Hollande bouscule le « hollandisme »

Publié le par DA Estérel 83

Les Echos

 

 

Boll pour « Les chos »

François Hollande est un habitué des exploits politiques. Revenir de nulle part dans le coeur des sympathisants pour remporter la primaire socialiste, appuyer sur les failles du sarkozysme pour réinstaller la gauche à l'Elysée, imposer un nouveau style de présidence validé par les élections législatives. En trois ans, il a sauté toutes les haies, il a étonné et réussi à faire changer les regards qui se portaient sur lui. Le Corrézien bonhomme est devenu président de la République. François Hollande s'est imposé. Et pourtant, cette métamorphose n'est rien à côté de celle qu'il a commencée à esquisser la semaine dernière.

 

Pour la primaire, pour l'élection présidentielle et ses premiers pas à l'Elysée, « rien n'a été donné » à François Hollande, selon l'expression devenue le gimmick de sa campagne. Il s'est battu, il a rassemblé, il a su trouver les mots et pousser son avantage. Mais il n'a pas eu à forcer sa nature. Dans la nouvelle phase engagée en fin de semaine dernière pour répondre à la « gravité exceptionnelle » de la crise, c'est l'inverse. François Hollande a promis d'accélérer le tempo et de dessiner un cap clair pour le redressement du pays. « Il y a un besoin de netteté », concède son entourage.

 

Les deux ambitions ne donnent pas seulement à son action une coloration sarkozyste, alors qu'il s'était jusqu'ici coulé dans le costume inversé de son prédécesseur. Elles risquent de prendre à rebours ce qui faisait jusqu'ici le « hollandisme », cette méthode empreinte de consensus et de sens politique, parfois raillée («  c'est la synthèse du Mans ») mais éprouvée. « Il ménage tout le monde : la gauche en montrant qu'il tient ses promesses de campagne, les marchés financiers en n'allant pas forcément au bout de ces mêmes promesses (l'essence, le Livret A, sans doute le 75 %), ses partenaires en entretenant le flou sur la suite, et il espère tenir comme cela jusqu'au retour de la croissance. » Il y a dix jours à La Rochelle, un proche décryptait ainsi les premiers pas de l'exécutif et l'émergence voulue d'une « présidence impalpable ». Dix jours plus tard, plus rien de tout cela ne peut tenir.

 

François Hollande a toujours fait primer le politique sur l'économique. Or lui-même a estimé, vendredi dernier à Châlon-en-Champagne, de son « devoir de dire la vérité aux Français » et de « faire des choix dans le bon ordre, le bon rythme et la bonne direction ». Il va donner un cap économique et engager des réformes de structure, qui ne font pas forcément partie du bréviaire de la gauche. Il va devoir prendre le risque de déplaire (la présence de nombreux membres du gouvernement à l'université d'été du Medef a sans attendre suscité des critiques).

 

Déjà, tout doucement, des mots jusqu'ici tabous font leur apparition : compétitivité, flexibilité, coût du travail. Il n'est qu'à regarder le chemin économique tracé ces derniers jours par Jacques Attali, l'ancien conseiller de François Mitterrand et soutien de François Hollande dans la campagne, pour mesurer l'ampleur du cactus politique qui menace le chef de l'Etat : baisse des dépenses, suppression des départements, Europe fédérale. La gauche s'est souvent déchirée pour moins que cela.

 

Depuis la rentrée, le ton est d'ailleurs monté d'un cran à l'égard des partenaires de la majorité et de la gauche du Parti socialiste. L'adoption du traité budgétaire européen ne saurait souffrir d'aucune dissidence, il sera un signe ou non d'appartenance à la majorité, et partant, au gouvernement. Les écologistes ont longtemps voulu croire que ces manifestations d'autorité étaient le seul fait de Jean-Marc Ayrault. Ils commencent à percevoir que ce n'est plus tout à fait le cas. Accessoirement, le ton monte aussi à l'égard des journalistes, que François Hollande a toujours ménagés. L'Elysée, le Premier ministre et des ministres proches comme Michel Sapin les ont enjoints ces derniers jours de se « désintoxiquer » de la pratique du pouvoir de Nicolas Sarkozy. Une certaine rondeur présidentielle a vécu.

 

Sa façon de pianoter sur différents registres est elle aussi mise à mal. Dans la campagne présidentielle, François Hollande n'a pas voulu se laisser enfermer dans le débat économique, et a également mis l'accent sur les mesures symboliques (pratique du pouvoir) et sociétales. Elles n'ont pas disparu, loin de là : le mariage et l'adoption « pour tous », l'interdiction du cumul des mandats, voire l'expérimentation de salles de shoot font partie de l'agenda gouvernemental.

 

Mais certains s'en inquiètent, au motif que les Français risquent d'y voir une tactique. « Ils n'aiment pas qu'on leur parle d'autres sujets quand ils sont focalisés sur des préoccupations majeures comme l'emploi et le pouvoir d'achat. C'est ce qui était arrivé à Nicolas Sarkozy lorsqu'il avait voulu mettre l'accent sur l'immigration », rappelle le sondeur Gaël Sliman (BVA). D'autres usent du risque encouru. Défenseur d'un régime d'exception pour les sénateurs, François Rebsamen, le président du groupe PS au Sénat, a lancé dans « Le Monde » cette semaine cet avertissement : « La priorité, c'est l'emploi et la croissance, pas le cumul des mandats. »


François Hollande a sans doute été pris de cours par une dégradation de la situation économique plus rapide que prévu ; il n'avait pas non plus anticipé le rythme et l'exposition imposés par le nouvel ordre médiatique ni la dureté de la presse. Le voici qui plus est obligé de réinventer sa méthode et de dessiner dans l'urgence une doctrine « de gauche » face à la crise économique. Le tout, sans montrer le moindre tremblement. François Hollande sait trop l'importance de la psychologie dans les comportements économiques. Jamais dans ses discours le mot « confiance » n'avait été aussi présent. Jamais il n'avait eu autant besoin comme à Châlons-en-Champagne de marteler que « le changement, c'est une force qui sait où elle va ».

Cécile Cornudet est grand reporter aux « Echos ».

Publié dans HOLLANDE

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