Primaire du PS: «Changer d'échelle, mais aussi d'époque et de culture politiques»

Publié le par DA Estérel 83

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L'avocat Jean-Pierre Mignard est l'un des trois membres de la haute-autorité de la primaire socialiste, avec le préfet Rémy Pautrat et la présidente de l'Adie (association pour le droit à l'initiative économique), Catherine Barbaroux. A deux semaines du début du dépôt des candidatures, il détaille pour Mediapart le rôle et les exigences de cette instance chargée de contrôler le bon déroulement du scrutin de désignation de la candidature socialiste à la présidentielle.

Où en est aujourd'hui la haute-autorité de la primaire socialiste?

Elle est constituée, après la nomination de Catherine Barbaroux suite au désistement de Mireille Delmas-Marty pour des raisons d'agenda. Nous avions le choix entre deux manières d'appréhender la mission qui est désormais la nôtre. Soit être un juge ultime du processus électoral. Soit participer au processus dès l'origine, une fonction de régulateur préventif des conflits, plutôt que de dénouement au sommet d'un olympe qui n'existe pas. Seule cette approche donne à la haute-autorité la légitimité qu'elle pouvait acquérir. 

Le PS est-il dans les temps, selon vous?

Il y a eu une période de flottement, d'incertitude, liée au statut même de la primaire. Alors que le comité d'organisation faisait son travail, un débat récurrent n'a cessé de porter sur le statut des primaires. Hormis sa suppression réclamée par quelques-uns, très peu en fait, l'idée d'une primaire de confirmation s'était pourtant installée, évidemment liée à la possible candidature de Dominique Strauss-Kahn, qui aurait sublimé toutes les autres candidatures et, par voie de conséquences, rendu la primaire inutile ou du moins secondaire. L'annonce de sa décision avait provoqué un certain attentisme, mais les événements récents ont fait qu'elle a retrouvé son objectif premier: être l'instrument incontestable de sélection des candidats, donner la plus large assise populaire au candidat ou à la candidate choisi(e), et lui garantir un maximum de chances de succès.

Il s'agit aussi de dresser le bilan du semi-échec des demi-primaires de 2007. Permettre l'impartialité, le plus large rassemblement au-delà du cercle étroit du PS, et l'union finale symbolisée par la convention d'investiture et la fusion des équipes de campagne. Ce choix a été défendu par des personnalités très diverses au sein du PS: Arnaud Montebourg et Olivier Ferrand qui en furent les concepteurs, François Lamy qui en est l'organisateur pratique, mais aussi Ségolène Royal, Pierre Moscovici, Manuel Valls ou François Rebsamen. 

La primaire reprend une importance considérable, voire exceptionnelle pour le PS et pour la gauche. Mais il n'y a plus une seconde à perdre dans l'organisation de la consultation électorale. Il n'y a plus d'événement providentiel à attendre, mais une immense dynamique démocratique à mettre en œuvre.

Comment se passent actuellement les relations entre la haute-autorité et Solférino?

Elles sont tout à fait correctes. La question essentielle qui se pose maintenant est celle des moyens qui vont nous être alloués. Nous demandons des bureaux distincts de la rue de Solférino, des assistant(e)s et un site internet. Par définition, ce ne peut être un site du parti socialiste. Il devra être non seulement à disposition des organisateurs et des candidats, mais aussi de tous les électeurs. On pourra y trouver le règlement intérieur de la haute-autorité, la liste de ses membres, les compétences de son collège d'experts et ses référents par département. Toute déclaration à vocation publique de la haute-autorité y figurera. L'accès direct au site par les électeurs est une des conditions de la confiance qui doit nous être accordée.

Comment comptez-vous concrètement réguler la bonne conduite des candidats pendant la campagne?

Chaque candidat aura un représentant auprès de la haute-autorité. Cela facilitera les contacts, des demandes d'explication. Le règlement intérieur s'imposera à tous. La haute-autorité pourra s'auto-saisir, et veillera au respect de la procédure des primaires décidée par le PS et les comités d'organisation départementaux, au respect de la légalité et de l'égalité entre les candidats, et au respect que se doivent les candidats eux-mêmes. C'est en effet une des prohibitions de la charte éthique: le dénigrement est banni. Il faudra d'ailleurs distinguer avec soin ce qui relève de la compétition politique sur le fond, des critiques malveillantes ad hominem, qui sont destructrices et complètement contradictoires avec le processus postérieur de fusion des équipes et la volonté de gouverner ensemble. 

A une échelle bien moindre que la primaire socialiste, mais en très peu de temps et avec un prix plus prohibitif, les écolos ont vu le nombre de leurs inscrits plus que doubler (de 14.500 à 32.000). Pensez-vous le PS et ses 200.000 militants prêts à accueillir un afflux massif de votants?

Deux sondages indiquent que 30% des Français souhaiteraient participer. Même s'il n'y en avait que 10%, cela représenterait plus de 4 millions. Ma conviction est que l'on sera autour de 3 millions d'électeurs. Matériellement, le PS n'a pas les moyens de la République, et il y aura donc moins de bureaux de vote. Le chiffre de 10.000 est celui qui est le plus souvent retenu. Ceux-ci pourront se tenir en extérieur, lorsque nous n'aurons pas pu obtenir de salles communales. Il faudra alors informer les électeurs des lieux de vote qui pourront varier des endroits habituels. 

Mais hormis des situations en voie de se débloquer, sur la remise des listes électorales notamment, nous ne rencontrons pas pour l'instant de problèmes majeurs dans l'attribution de salles, dont la remise en état sera intégralement financée par le PS. Les bureaux de vote seront tenus par des présidents et scrutateurs rompus aux consultations électorales, membres ou non-membres du PS. La participation est facilitée à l'extrême, puisque chaque électeur est invité à verser un euro et à signer une charte de soutien aux valeurs de la gauche, qui sont celles de la République, de la démocratie, des droits de l'homme et du progrès social.

Jean-François Copé accuse le PS de vouloir faire des «primaires de bobo» et redoute la création de «fichiers en négatif» par les élus locaux, leur permettant d'identifier ceux parmi les habitants qui ne seraient pas de gauche?

La rage de Monsieur Copé fait plaisir à voir. S'il y avait encore des indécis sur la validité des primaires, ils pourraient trouver là matière à se rassurer. L'ampleur de la participation électorale, la régularité du scrutin, et la fusion générale à l'issue du scrutin, constitueront la première victoire de la gauche pour la présidentielle de 2012. Le PS est non seulement fidèle à la constitution, qui donne aux partis la mission de concourir à l'expression du suffrage universel, mais il l'étend à la désignation même de ses candidats, ouvrant ainsi un nouvel espace démocratique considérable dans la société française.

Ce qui était l'apanage ou le privilège du parti -désigner un candidat- devient le droit de tous les citoyens. Passer du privilège au droit, quelle meilleure définition donner de la République? Enfin, en accord avec la CNIL, seules les coordonnées de ceux qui en auront expressément accepté la proposition seront conservées. C'est la loi, et elle sera respectée.

En 2008, après le congrès de Reims, vous aviez vous-même dénoncé dans un rapport nombre d'irrégularités de vote, notamment dans les fédérations du Nord, du Pas-de-Calais, ou de Seinte-Maritime. Qu'est-ce qui prémunit cette primaire d'un risque de voir à nouveau la sincérité du scrutin remise en cause?

Vous citez un certain nombre de fédérations. D'autres fédérations adverses avaient tout autant été mises en cause. Une déficience manifeste de procédures pour satisfaire la question de la transparence du scrutin avait abouti à une bataille de chiffonniers. Chacun battait avec ardeur sa coulpe sur la poitrine des autres. Ce n'était pas la première fois, et ce n'aurait certainement pas été la dernière, sans la décision d'instaurer le processus de la primaire. 

Le retour à la désignation par un congrès était le véritable risque de catastrophe. Ou alors, il fallait se résigner à la constitution d'un comité des sages, sur un mode saint-simonien, qui aurait décidé pour tout le monde. Une sorte de conclave vraiment pas dans les traditions d'un parti républicain. Donc, les primaires sont paradoxalement moins la marque de l'audace que du réalisme.

Comment réussir alors? D'abord par la volonté de tous, et la qualité des choix offerts par les candidats. Plus ceux-ci seront de bon niveau, plus la consultation sera de haute tenue. «Tout ce qui monte converge», disait Teilhard de Chardin... On ne change pas seulement d'échelle, mais aussi d'époque et de culture politique. Le PS avait en effet pris des habitudes et des singularités qui trahissaient ici ou là, et dans tous les camps, une sacré méconnaissance des principes démocratiques élémentaires, revendiqués par ailleurs pour la société tout entière. L'organisation parfois très verrouillée des fédérations avait érodé la confiance dans les résultats des votes. La question de la confiance était posée. Et il faut restaurer les apparences permettant de restaurer cette confiance.

Qu'entendez-vous par «les apparences»?

La «théorie des apparences» signifie en droit que chacune et chacun ne doit pas douter de l'indépendance et de l'impartialité de ceux qui administrent ou jugent. Donc, la forme est essentielle. Il ne s'agit pas de s'en remettre à la bonne volonté des organisateurs, ou à la bonne foi des instigateurs, mais à la confiance produite par l'intégrité des procédures. 

On peut surtout être convaincu que les électeurs n'accepteront pas de vicissitudes auxquelles s'étaient peu ou prou habitués, ou s'étaient vu imposer, les militants socialistes. Nous sommes convaincus que tous les candidats déclarés ou non-déclarés partagent cette volonté. Enfin, il y aura la haute-autorité, qui démontre par son existence même, l'acceptation par le PS de la séparation des pouvoirs. Il s'agit pour lui d'une révolution copernicienne.

Dans les Bouches-du-Rhône, une commission d'enquête du PS examine la situation de la fédération, tandis que plusieurs responsables socialistes sont inquiétés par la justice. Comment dans ce cadre faire confiance à l'organisation du scrutin?

Il y aura des représentants de la haute-autorité (avocat, magistrat ou professeurs de droit) dans tous les départements, co-désignés par consensus dans les comités départementaux d'organisation des primaires, ou par la haute-autorité en cas de défaut de consensus. Il y aura aussi des représentants des candidats, qui seront les gardiens de l'équité. Si nous sommes saisis de risques d'atteintes à la transparence du scrutin, nous trancherons toute question relative à un tel manquement. Mais là comme partout, ceux qui prendront le risque de tromper le scrutin s'exposeront à de graves retours de bâtons, lors des scrutins suivants.

Il y aura dans les Bouches-du-Rhône, comme dans les grands départements sans doute, deux personnalités de la haute-autorité. Je pense surtout que la dynamique créée par cette primaire sera plus forte que tout ce que l'on peut redouter, à tort ou à raison. Il faut miser sur une véritable submersion civique des vieilles habitudes.

De quel type de pouvoir et de sanction disposerez-vous?

D'abord d'un pouvoir de prévention et de recommandation. On devra alerter, publiquement ou confidentiellement, tel candidat sur un manquement. On pourra également délivrer des avertissements solennels. Enfin, si jamais nous étions saisis de transgressions évidentes des règles, par exemple dans l'organisation d'un bureau de vote, et dès lors que les faits seraient incontestables, nous procéderons à la modification des résultats, voire les annulerons. Les référents départementaux serviront à cela.

Alors que certains pensent que le PS prend le risque d'un «congrès de Reims bis» devant tous les Français à quelques mois de la présidentielle, vous paraissez très optimiste?


C'est la dernière chance, et le début d'une nouvelle histoire. Il ne faut pas la gâcher. Dès lors que l'on renonce à une candidature d'un homme ou d'une femme providentiel, ce qui est «du pur Mendès France», il faut choisir le peuple, son intelligence collective, et donc les primaires. Dans une période historique où la France et le monde connaîtront tensions, bouleversements et déchirements, où l'idée même de progrès redevient fragile, il n'y a aucune autre solution que de retrouver un élan collectif, de dégager de nouveaux espaces démocratiques, et de redonner le sens du bien commun.

Le suffrage universel n'est pas la panacée, mais il est la condition de tout le reste: plus il s'étend, mieux la démocratie s'en porte. La primaire doit être un exercice de grande pédagogie politique, et même de repolitisation de la société. Une adhésion au contrat présidentiel, et un renforcement de ce contrat. Cette idée de contrat est hautement préférable à toute autre, car elle réduit la nature hiératique de la fonction présidentielle sous la Ve République. Le président n'est pas un roi, et nous ne sommes pas des grenouilles qui en demandent un.

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