Montebourg, la cartouche gauche de l’Elysée

Publié le par DA Estérel 83

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Il a souvent fait sourire. Il le savait et semblait s’en moquer. Mais à l’époque, c’était dans les travées de l’Assemblée ou les soirs de drames socialistes. Cette fois, c’est en pleine lumière, les mains dans le cambouis. Depuis sa nomination, le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg ne touche plus terre. Quand on le croise par hasard dans les couloirs de Bercy, il est tellement pressé qu’il en court presque, l’air épuisé.

À l’Assemblée, il est devenu la bête noire de la droite et la vedette des questions au gouvernement : intensité de l'actualité sociale oblige, il a répondu à huit reprises lors des trois dernières séances. Dès qu'il prend la parole, des « ah ! » ironiques fusent sur les bancs de l’UMP. Certains élus de l'opposition miment ostensiblement l'affliction à chacune de ses réponses. Montebourg, lui, ne se départit jamais de son emphase et paraphrase Kennedy pour parler de voitures hybrides comme d’une « nouvelle frontière »

Arnaud Montebourg en Ardèche, en janvier.Arnaud Montebourg en Ardèche, en janvier.© L.B.

Fralib, Doux, Arcelor-Mittal, Lyondell-Basel et, bien sûr, PSA, les dossiers s’empilent sur le bureau du « MRP », comme dit son cabinet pour “ministre du redressement productif”. Et Montebourg le met en scène, multipliant les déclarations tonitruantes, les interventions médiatiques et les déplacements entourés de caméras. Dans leurs bureaux feutrés des palais de la République, plusieurs de ses collègues observent la scène, mi-amusés, mi-dubitatifs, persuadés que, tôt ou tard, le chantre de la démondialisation de la primaire va trébucher. Se faire publiquement recadrer, prononcer la maladresse de trop.

Pendant des années, beaucoup de ses camarades socialistes ont, plus ou moins ouvertement, méprisé Montebourg, « emmerdeur », « dilettante », incapable de structurer durablement un courant au PS, voire « opportuniste ». Ils le jugeaient isolé et, à sa nomination, ils ont parfois ri de bon cœur de l’intitulé même de son ministère.« Arnaud Montebourg est très intelligent mais c’est un homme du XIXe siècle », glissait ainsi début juin un conseiller de l’Élysée, quand un ministre proche du Palais jugeait qu’un « bon ministre, ce n’est pas celui qui fait le kékék, mais qui est en ligne avec son administration ».

Philippe Varin à sa sortie de Matignon, le 23 juillet. Philippe Varin à sa sortie de Matignon, le 23 juillet. © Reuters.

Indéniablement depuis, le ton a changé. « Je pensais qu'il irait dans le mur mais il ne s'en sort pas trop mal», admet un conseiller social. « À notre arrivée, on a eu, avec les Français, le plaisir de rire de l’intitulé du ministère. Mais quand Montebourg a très rapidement décidé que les plans sociaux le concernaient également et que, dans la répartition avec Sapin (ministre du travail – ndlr), c’est nous qui avons les leviers tant qu’une boîte n’était pas morte, on a moins rigolé », témoigne un membre de l’entourage du ministre.

Mais, emporté par l’urgence sociale, Montebourg a choisi d’incarner un volontarisme sur tous les fronts, tranchant avec les déclarations plus mesurées de ses collègues du gouvernement et alimente, depuis, les spéculations sur son isolement dans l’équipe Ayrault. Quand il tance publiquement le patron de PSA et s’en prend à la famille Peugeot, perçue dans les cercles patronaux et politiques, de gauche et de droite, comme une figure du capitalisme familial à la française – donc une icône à ne pas écorner –, nombreux sont les éditorialistes à attendre un recadrage gouvernemental. D’ailleurs, le premier ministre semble désavouer son ministre en recevant à son tour Philippe Varin à Matignon : le communiqué publié à l’issue de l’entretien du 23 juillet est un ton en dessous. Montebourg ne l’avait pas validé, il est furieux.

Montebourg est-il isolé ?

Avec Ayrault, il a souvent une approche différente des dossiers. Avec Michel Sapin au travail, et Pierre Moscovici aux finances, aussi. Les relations sont parfois tenduesla cohabitation mouvementée« Montebourg, c’est celui qui incarne une forme de radicalité et de renouveau avec les entreprises. C’est celui qui mène un combat identifié et pense que l’État a des choses à dire aux boîtes : c’est un peu nouveau à gauche », dit un de ses partisans. Du moins pour la gauche au pouvoir.

 

Thierry MandonThierry Mandon© DR.
« Cette ligne d’une nouvelle forme de volontarisme industriel qu’Arnaud est chargé de mettre en musique rompt avec la tradition de l’État qui nationalise et planifie et avec le social-libéralisme des années 1990, abonde le député Thierry Mandon, une des chevilles ouvrières de la campagne Montebourg à la primaire. L’accouchement de cette nouvelle ligne n’est pas facile. Elle s’invente en marchant et fait logiquement débat au sein du gouvernement sur les rythmes, les priorités, l’équilibre entre le fait de ne donner le sentiment qu’on est contre les entreprises et celui d’avoir des exigences vis-à-vis du secteur privé. »

 

« Sur le fond, Ayrault est par exemple sceptique sur la capacité du gouvernement à infléchir le plan social de PSA. Montebourg, lui, pense que si on sauve rien que 200 mecs, c’est bien », explique un membre du gouvernement. « Ils ont tous les mêmes objectifs, mais ne défendent pas forcément les mêmes moyens. Dans la relation aux chefs d’entreprises, Montebourg est plus rentre-dedans », concède aussi un conseiller de François Hollande, plutôt réfractaire au style du ministre du redressement productif. Avant d’ajouter : « Mais c’est une fonction utile dans un gouvernement. Deux maîtres mots doivent conduire notre action : exigence et confiance. De ce point de vue, Sapin et Montebourg sont complémentaires. »

Hollande et Montebourg, le 27 juillet, chez Valeo. Hollande et Montebourg, le 27 juillet, chez Valeo. © Reuters.

Car tous convergent sur un point : Montebourg dispose d’un soutien de poids, l’Élysée. Il y a d’abord les faits : jusqu’à la récente affaire de sous-traitance au Stif, jamais François Hollande n’a désavoué le ministre. Bien au contraire. Le 14 juillet, il choisissait le même mot pour condamner le plan de PSA : « inacceptable ». « L'État ne laissera pas faire », dit alors le président de la République, accusant à son tour la direction du constructeur automobile de « mensonge »Quand il se rend le 27 juillet chez l’équipementier Valeo, c’est Arnaud Montebourg et le chef de l’aile gauche du PS, Benoît Hamon, ministre délégué à l’économie solidaire, qu’il emmène avec lui. « Il a pris Montebourg dans sa voiture et Hollande a eu des paroles agréables pour lui », croit savoir le député Thierry Mandon. 

« Les gens peuvent discuter tel ou tel point, mais on a le soutien de l’Élysée. Montebourg est une pièce politique maîtresse du président de la République », dit un proche du « MRP ». Une version confirmée dans l’entourage du président de la République.« Il n’y a aucun isolement d’Arnaud Montebourg, je suis formel. Et en aucun cas avec l’Élysée », insiste un conseiller du Palais. Le ministre y a ses entrées : le conseiller spécial de François Hollande, Aquilino Morelle, était son directeur de campagne pendant la primaire.

« Arnaud fait un travail difficile avec courage et pugnacité, et cela dérange du monde », dit-il aujourd’hui. Depuis ses 17 % à la primaire, Montebourg s’est aussi persuadé que le président de la République partageait sa vision de l’industrie. « Il y a un phasage ancien avec François Hollande sur la volonté d’être colbertiste sur la question industrielle », estime ainsi Paul Alliès, adjoint de Montebourg quand il était secrétaire national à la rénovation du PS.

La loi sur les reprises d'entreprises : un test politique

« Après la primaire, François Hollande a compris que son équilibre politique devait être un peu différent. Et depuis qu’il est à l’Élysée, il est très socialiste : son centre de gravité est plus à gauche qu’on ne pouvait le croire », veut penser un compagnon de route de Montebourg. Après sa victoire, en automne, dernier devant Martine Aubry, Hollande a parfois infléchi son propos et s’est entouré d’Aquilino Morelle, sa plume de campagne, puis de Montebourg, intronisé VRP du candidat dans les usines (lire notre reportage). « J’ai lancé un appel au patriotisme industriel et cet appel a été entendu. Je veux montrer que par la politique, on fait de l’économie », savourait alors le député de Saône-et-Loire. Le discours du Bourget, fin janvier, avait aussi ravi les partisans « montebourgeois », convaincus par la charge de Hollande contre la finance, désignée comme « un ennemi ». « Sur la finance, ce sont Aquilino (Morelle), Montebourg et Ségolène (Royal) qui ont eu raison »avouait alors le candidat socialiste.

Arnaud Montebourg visite la Scop Ardelaine en janvier.Arnaud Montebourg visite la Scop Ardelaine en janvier.© L.B.

D’autres responsables socialistes soupçonnent plutôt une alliance tactique de circonstance, pour calmer la gauche radicale et jouer le vieux refrain du « good cop bad cop » (bon flic, mauvais flic). « Au gouvernement, il y a une répartition des tâches qui fonctionne bien. Il n’y a pas d’opposition entre une ligne jacobine de principe, disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, et une ligne plus pragmatique. Dans une négociation, il faut un bon et un méchant », dit un conseiller de l’Élysée. Une lecture récusée par l’entourage de Montebourg. « Hollande ne l’a pas mis pour qu’il se casse la gueule », jure Paul Alliès.

Reste à savoir combien de temps ce soutien – sincère ou tactique – durera. Et, surtout, s’il conduira le gouvernement à porter des textes législatifs défendus par Montebourg mais contestés au sein de l’équipe Ayrault. L’exemple le plus symptomatique est certainement la loi sur la reprise des sites rentables, une promesse de campagne de François Hollande à laquelle Ayrault, Bercy et Sapin ne sont pas franchement favorables. « C'est un dossier très compliqué, mais comme Montebourg est intelligent, il va y arriver », glissait récemment un membre du cabinet de Michel Sapin, laissant augurer du climat ambiant en coulisses (lire notre article).

Aquilino Morelle.Aquilino Morelle.

Mercredi 1er août, plusieurs membres du cabinet de Montebourg étaient encore à l’Élysée pour tenter de convaincre de la pertinence d’une telle loi et le ministre lui-même s’est fendu d’un courrier à Jean-Marc Ayrault. « C’est un gros sujet de tangage », dit un conseiller. « Oui, le sujet est délicat, mais il faut se donner cette arme-là. C’est prévu à l’agenda 2012, ce sera pour la fin de l’année », promet pourtant Aquilino Morelle, conseiller spécial de François Hollande à l’Élysée. Un de ses collègues du cabinet, moins enthousiaste, dit aussi que si rien n’est encore tranché, il a « l’intuition que ce texte ne restera pas encalminé pendant 107 ans ». Montebourg plaide aussi pour une loi sur la gouvernance des entreprises qui viserait à renforcer les droits des syndicalistes dans les comités d’entreprise.

Les écolos agacés

 

 

François Hollande et Arnaud Montebourg à l'Elysée. François Hollande et Arnaud Montebourg à l'Elysée. © Reuters.
« Ce sera l’heure de vérité. Montebourg veut montrer que si l’État ne peut pas tout, il peut quelque chose. Et ce qu’il peut, c’est la loi », prévient Paul Alliès, premier signataire de la contribution des “montebourgeois” pour le congrès socialiste. « La situation économique sera tellement catastrophique à l’automne que le gouvernement aura besoin de décisions fortes : Arnaud ne pourra pas perdre tous les arbitrages », espère un autre de ses partisans au PS. D’autant qu’il a reçu le soutien des députés socialistes à la veille de son départ en vacances. « Je souhaite que la proposition de loi dite Hollande (sur la reprise de sites rentables) puisse venir au Parlement le plus rapidement possible et qu'elle soit inscrite sans attendre à l'ordre du jour »a déclaré Bruno Le Roux, le patron du groupe.

 

Mais sur d’autres sujets, Montebourg est loin de faire l’unanimité, notamment dans les rangs écologistes. Déjà pro-nucléaire durant la campagne, il défend l’exploitation des gaz de schiste, condamnée à maintes reprises par la ministre de l’écologie Delphine Batho. Mardi 31 juillet, le ministre du redressement productif l’a redit aux députés écologistes qui lui avaient demandé de les recevoir pour déjeuner. « Sur les gaz de schiste, il a une vision productiviste qui vient totalement en contradiction avec le fait qu’il a, sur d’autres points, partiellement intégré une vision écologiste », témoigneFrançois-Michel Lambert, élu EELV présent au déjeuner.

Tout le paradoxe, selon Lambert, est que Montebourg « n’est pas suivi » quand les écolos sont d’accord, notamment sur son volontarisme en matière d’emploi ou l’idée de taxer les compagnies aériennes low cost, et « suivi quand il pousse des dossiers qui n’ont pas de sens ». Mais, promet le député, « on ne va jeter des pierres sur le ministre du redressement productif, on est vigilant ». Une consigne que n’a pas suivi le président du groupe écologiste au Sénat, Jean-Vincent Placé, amateur de piques bien emballées. « Je ne suis pas convaincu par le style d'Arnaud Montebourg. Quelque part il m'inquiète », a-t-il lancé jeudi (voir la vidéo).

Pour rétorquer, Montebourg manque de relais : s’il compte une douzaine de députés proches de ses thèses, qu’il a réunis par deux fois pour déjeuner, aucun n’affiche publiquement son soutien. Pas un n’a signé la contribution pour le congrès et Thierry Mandon, passé porte-parole du groupe à l’Assemblée, refuse catégoriquement d’être son ambassadeur au Palais Bourbon. « Je ne chercherai pas à structurer une sensibilité Montebourg dans le groupe », dit-il. Au PS, la structuration de sa sensibilité, gérée par Paul Alliès, est encore balbutiante. « L’axe Hollande-Montebourg va-t-il tenir longtemps ? La question sera le congrès (qui se déroulera le 26, 27 et 28 octobre 2012 à Toulouse – ndlr) : aujourd’hui Martine Aubry fait tout pour l’isoler, mais si Arnaud Montebourg n’est pas pris en considération, ça se passera très mal », promet Paul Alliès. Quitte, dit-il, à en appeler à l’arbitrage « au plus haut niveau », à l’Élysée. Un comble pour les chantres de la VIeRépublique et pour un ministre qui aime tant à dire qu’il fait de « la politique par les actes ».

Publié dans Gouvernement

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