Mario Monti est-il en train de faire éclater le couple «Merkozy»?
La salle du Conseil européen est presque pleine, mais il manque encore à l'appel, ce lundi après-midi 30 janvier, trois chefs d'Etat. Angela Merkel, Nicolas Sarkozy et Mario Monti se font attendre, en pleine discussion dans une salle annexe, pour caler leurs positions. Lors des précédents sommets, le couple franco-allemand se voyait en tête-à-tête, avant l'ouverture des débats. A présent, c'est un trio qui met tout le monde en retard.
L'entrée en fonctions de « l'expert » Mario Monti, en novembre, est en train de bousculer la gestion de la crise européenne. « Merkozy » a pris un sérieux coup de vieux. La perte du « triple A » français, et la perspective de l'élection présidentielle en avril, fragilisent la position de Nicolas Sarkozy sur la scène européenne. Au même moment, Mario Monti multiplie les visites officielles, de Londres à Berlin, de Paris à Bruxelles.
Au fond, une seule question se pose, pour l'ancien commissaire européen au marché intérieur (1995-1999), puis à la concurrence (1999-2004), passé ensuite par Goldman Sachs (à partir de 2005) : Mario Monti, 68 ans, va-t-il réussir, là où Nicolas Sarkozy a échoué ? Va-t-il parvenir à faire évoluer Berlin sur une batterie de sujets décisifs pour l'avenir de l'euro, du lancement d'euro-obligations à la taille de l'enveloppe consacrée au sauvetage des pays en difficulté ?
A Bruxelles, ils sont très nombreux à en être convaincus. Son déplacement à Berlin, le 11 janvier, a fait forte impression. Dans un entretien à Die Welt, il prévenait : « Si les Italiens ne voient pas dans un avenir proche de résultats tangibles de leur disposition à économiser et à réformer, un mouvement de protestation contre l'Europe va voir le jour en Italie, dirigé aussi contre l'Allemagne, considérée comme meneur de l'intolérance au sein de l'Union, et contre la Banque centrale européenne. » Angela Merkel avait réagi à cette mise en garde en couvrant Mario Monti d'éloges, en sa présence.
« Assiste-t-on à l'émergence d'un nouveau duo, en amont de la campagne présidentielle française ? Il est encore trop tôt pour le savoir », modère Piotr Maciej Kaczynski, un chercheur au sein duCEPS, un centre d'études à Bruxelles. Principal atout de Monti, aux yeux de ses défenseurs : sa crédibilité en Europe. « Il a un CV que personne n'a au Conseil européen », tranche Sylvie Goulard, une eurodéputée libérale (Modem). « Pour la première fois depuis le début de la crise, nous avons en poste quelqu'un qui travaille ces questions depuis 40 ans. »
Pour Monica Frassoni, la présidente italienne des Verts européens, « la crédibilité du personnage est acquise, et il obéit à une logique qui ressemble bien plus à celle de Merkel que de Sarkozy ». « En Italie, les caricaturistes comparent Monti à un robot. Ce n'est pas exactement le style de l'homme politique latin... Clairement, son style très classique le rapproche de l'Allemagne », poursuit-elle. D'autant que les économies de l'Allemagne et de l'Italie, toutes deux décentralisées, avec un tissu serré de petites entreprises, ont beaucoup de points communs.
« L'Union s'était mise à ressembler, ces derniers temps, à un étouffant tête-à-tête entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, et l'arrivée de Mario Monti permet de rouvrir le jeu », assure Sylvie Goulard, qui s'était fendue, dès novembre dernier, d'un long plaidoyer pour Monti.
Pour le président du Conseil italien, l'équation est claire : il est prêt à faire autant de réformes structurelles en Italie qu'il le faudra, à condition d'obtenir, en échange, une baisse des taux qui permette à Rome de financer sa dette. Or, pour que cette baisse des taux intervienne, il faut, estime-t-il, que les Allemands lâchent du lest. Par exemple en acceptant d'émettre de la dette en commun, au sein de la zone euro, ou en doublant la capacité du Fonds européen de stabilité financière (FESF), ce pare-feu européen censé venir en aide aux pays au bord de la banqueroute.
Jusqu'à présent, Berlin écarte les deux scénarios. Mario Monti, qui redoute plus que tout un avenir grec pour l'Italie, s'est toujours refusé à s'en prendre frontalement aux Allemands. Lorsqu'un journaliste du Financial Times lui demande, en janvier, s'il en veut à Angela Merkel de ne pas gérer correctement la crise de l'euro, il répond, dans ce langage feutré qui plaît tant à Bruxelles : « Je ne pense pas que l'on puisse isoler un pays, ou une personne. »
En attendant, il cultive ses bonnes relations avec l'ensemble des pays de l'Union, et échafaude de patients rapports de force en interne – ce que Nicolas Sarkozy, obnubilé par l'Allemagne, n'a jamais su faire. Celui qui avait rendu un rapport sur le marché unique, en mai 2010, à José Manuel Barroso, se retrouve avec les Anglo-Saxons sur les questions de concurrence. Il est aux côtés des Polonais, lors du dernier Conseil, lorsque ceux-ci s'affrontent avec Paris, sur le format des futurs « sommets de l'euro ». Il accepte aussi le discours sur l'orthodoxie budgétaire des Allemands.
Monti serait donc bien plus capable de jouer collectif, et de respecter les « petits pays » au sein de l'Union, qui se sont sentis écrasés par le rouleau-compresseur Merkozy des derniers mois. L'Italien peut compter sur un dernier atout, dans le grand jeu d'échecs européen en cours : l'autre Mario, Mario Draghi, à la tête de la Banque centrale européenne (BCE).
« Draghi et Monti forment un duo stratégique », juge Piotr Maciej Kaczynski, du CEPS. « Les deux sont des technocrates, les deux sont italiens, et les deux sont reconnus pour leur professionnalisme. » Les deux sont passés, aussi, par Goldman Sachs. « En matière d'orthodoxie, M. Draghi est digne d'un Allemand », écrit le Financial Times dans un édito amusé. Les « deux Mario » pourraient donc unir leurs forces pour faire plier la chancelière.
Reste à savoir combien de temps Mario Monti pourra tenir tête à l'Allemagne. Car sa crédibilité est aussi liée au succès des réformes qu'il entreprend en Italie. Sur ce front, la situation est incertaine. En deux mois, il a déjà fait passer une nouvelle série de coupes dans les dépenses publiques et d'augmentations d'impôt. A quoi s'ajoute une politique de « libéralisation » de l'économie explosive.
Il est le « Margaret Thatcher d'Italie », écrit, en forme de compliment, The Economist. Monti réforme les retraites à toute vitesse et malmène les avantages sociaux de corps de métiers, qui menacent de bloquer la péninsule en signe de représailles : taxis, routiers, avocats, pharmaciens, etc. « Ses recettes en Italie ont un énorme biais idéologique », juge Monica Frassoni. « Il libéralise les taxis, mais ne touche ni aux autoroutes ni aux banques... Nous, Verts, sommes pour la réforme des retraites, mais il aurait dû, aussi, taxer le capital ! »
Les sondages lui sont jusqu'à présent favorables. Il continue de bénéficier du soutien des grands partis de la péninsule. Des élections doivent être organisées au printemps 2013.