Les objets de la politique : le slogan recyclé

Publié le par DA Estérel 83

 

 

 

Il y a les professionnels de la politique, les méchants mercenaires qui s’occupent du bien commun avec détachement, si ce n’est cynisme, et ne prêtent pas une grande attention à la cohérence entre le message qu’ils portent et leurs propres pratiques. Et puis il y a les autres : ceux (souvent celles, d’ailleurs) qui font la politique autrement, et mettent un point d’honneur à construire une parfaite continuité entre leurs dires et leurs faits. On est ce qu’on dit, on est ce qu’on fait. A cet égard, Variae, qui n’a pas souvent été tendre avec Eva Joly, doit aujourd’hui s’incliner et lui reconnaître un effort remarquable pour suivre ses préceptes avec une rigueur jamais observée nulle part ailleurs auparavant.

 

Cela a malheureusement été trop peu remarqué (que voulez-vous, il faut toujours que Cohn Bendit y mette son grain de sel), mais la magistrate venue du froid a en effet mis en œuvre un bouleversement politique majeur lors des universités d’été d’Europe Écologie : le recyclage de slogan. Eva Joly 2012 ? Le changement juste. Ségolène Royal 2007 ? L’ordre juste. Moins qu’un hasard, mieux qu’une copie : une extension du domaine de l’écologie au champ … lexical.

Avouons qu’il fallait y penser. C’est même assez génial. Françaises, Français : je ne mettrai pas seulement en œuvre mon programme, je ne m’y conformerai pas seulement dans ma vie personnelle : je vous en ferai la démonstration à chaque fois que j’ouvrirai la bouche. Assez de croissance, d’inflation (verbale), de gaspillage ! Assez ! Pendant qu’une petite partie de privilégiés se goinfrent de mots inutiles et superflus, participant à l’échauffement de la température intellectuelle et à la dégradation du climat et de l’environnement politiques, des centaines, que dis-je, des milliers de mots gisent ça et là, à peine utilisés, un peu cabossés et éraflés tout au plus, peut-être plus de la toute dernière mode sémantique certes – et alors ? Allons-nous continuer à entasser dans des décharges lexicales ces produits de la société de con-mots-sation, pardon (j’en perds mes mots !) deconsommation, ces produits de la société de conversation, de babillage ?

Moi, Efa, en férité je fous le dis : il y a une décroissance verbale heureuse. Passons le langage politique au rabot de Rabhi, la barbe de Platon au rasoir d’Occam. Au diable (vau)vert éléments de langage, communicants et speechwriters ! Fouillons almanachs passés, journaux périmés et discours d’anciens candidats à la recherche des mots perdus. C’est dans les vieux mots que l’on fera les meilleures soupes.

Donc là, on imagine que quelqu’un, dans l’équipe d’Eva, a poussé un grand eurêka. « Eh les coopérateurs [copain en langage EELV], vous vous souvenez du slogan de Ségolène ? »L’ordre juste. Tiens c’est vrai, qu’est-ce qu’il est devenu l’ordre juste ? Ségolène ne l’utilise plus beaucoup, si ? Et pourtant il l’a bien hissée à un deuxième tour de présidentielle ! Bon d’accord, pas jusqu’à la victoire. Mais ce qui est bien avec le recyclage, c’est que vous pouvez réparer, améliorer, ripoliner juste ce qu’il faut pour donner l’air du neuf, voire la patine du vintage. Un peu comme ces vieux meubles de famille cérusés pour bobos montreuillois. Donc l’ordre juste, c’était pas mal, mais ça manquait quand même un peu de mouvement (« l’ordre juste, c’est juste l’ordre », comme disait alors Fabius – ou Cécile Duflot, je ne sais plus). Va pour le changement ! Le changement juste ! Tiens, c’est tellement bien que Ségolène le reprend au passage. Le recyclage, on va vous faire l’aimer.

Reconnaissons-le : Eva Joly a inventé là une nouvelle filière pleine d’avenir, le fondement d’une nouveau modèle de développement du langage. L’homme ou la femme politiquenouveau/nouvelle sera économe, parcimonieux, durable dans sa parole. Conscient à chaque instant du formidable gâchis de mots du monde occidental, de tous ces tweetslol, textos qui pourraient chacun à eux seuls nourrir tant de cerveaux dans le tiers-mot, enfin le tiers-monde, il/elle n’ouvrira plus la bouche que pour des sujets essentiels – comme le honteux défilé du 14 juillet.

Une dernière question reste posée : Eva Joly poussera-t-elle la cohérence jusqu’à la décroissance électorale ? On ne peut en tout cas que saluer ses efforts en ce sens.

Romain Pigenel

Publié dans Billet

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