Les bonnes affaires de Borloo l'avocat

Publié le par DA Estérel 83

Mediapart-copie-1  07 Novembre 2010 Par Martine Orange



 

I        Il a suffi d'une toute petite remarque de François Chérèque pour détruire une partie de l'argumentaire des défenseurs de Jean-Louis Borloo à Matignon. Social, Jean-Louis Borloo, allons donc, s'est exclamé le secrétaire général de la CFDT: «Je ne reconnais aucune fibre sociale à une personne qui ne s'est pas exprimée sur le blocage du dialogue social pendant six mois.» Avant d'ajouter un petit rappel historique sorti de toutes les mémoires: «Il était le ministre du travail quand il y a eu le CPE (Contrat de première embauche), donc on a l'habitude de M. Borloo, qui a un double discours, qui ne dit rien alors qu'il a des responsabilités.»

 

Il est ainsi Jean-Louis Borloo. Le ministre de l'environnement, de l'énergie a une capacité rare à esquiver les coups et les mises en cause, à occulter les faits qui dérangent. Une seule biographie –L'Impossible Monsieur Borloo de Vincent Quivy–, existe sur lui, bien qu'il occupe une place importante dans la vie politique depuis plus de vingt ans.

 

Chez lui, il n'y a ni réécriture, ni mensonge, non juste un épais silence qui vient recouvrir certains moments du passé dont il n'a plus envie de se souvenir et qui finit par les ensevelir définitivement. Jean-Louis Borloo a juste une mémoire sélective. Autant il aime à rappeler la période où il fut maire de Valenciennes, là où il rencontra la vraie vie, autant il a enfoui sa vie précédente, celle où il fut un riche avocat d'affaires. Bien sûr, il concède qu'il a été avocat de Bernard Tapie pendant dix ans. Mais tout cela est du passé. La page est définitivement tournée: «J'avais trente ans, j'étais un petit con», confiait-il, il y a dix ans à L'Expansion, en guise de conclusion de cette période.  

 

Revenir sur ce passé pourtant n'est pas inintéressant, car il trouve encore de longs échos aujourd'hui. Certains des milliardaires actuels ont commencé à bâtir leur fortune dans les années 1980 avec l'aide du cabinet Borloo. Le numéro deux du gouvernement a été un des rouages essentiels du système Crédit lyonnais de cette époque. C'est là qu'il a construit sa fortune, ses réseaux, ses amitiés, et jeté les bases de sa carrière politique. En affichant toujours cet air de dilettante qui lui a tant profité.

 

De ses débuts dans la vie, Jean-Louis Borloo aime à rappeler sa licence en philosophie et d'histoire aux côtés de ses études en droit. Sa biographie officielle ne manque pas de mentionner son voyage en Chine au début des années 1970 au cours duquel il parvient à saluer Mao Zedong. Mais, au retour, le jeune avocat, passé aussi par HEC, préfère se lancer dans le droit des affaires et intègre le cabinet de Philippe Saigne, qui deviendra, et reste, son associé. Son premier grand dossier en 1978: la sauvegarde d'un groupe de BTP qui avait construit plus de 4.000 «chalandonnettes». Un des grands scandales immobiliers des années 1970, des milliers de famille ayant  acheté des maisons, dans le cadre d'un vaste programme d'accession à la propriété (déjà) soutenu par le gouvernement, construites à la va-vite et souffrant de multiples malfaçons.

 

Très vite, Jean-Louis Borloo commence à se spécialiser dans le droit des faillites. Sous l'effet du deuxième choc pétrolier, des milliers d'entreprises, des empires industriels même, sont en train de s'écrouler. Le jeune avocat a un avantage par rapport à ses confrères: il connaît tout des techniques financières, il sait lire un bilan et comprend les possibilités qu'offre la loi de 1967 sur les faillites si on abandonne une lecture strictement juridique. Balzac l'avait depuis longtemps écrit: il y a des fortunes à se faire sur les décombres d'entreprises écroulées. Il devint très vite un des interlocuteurs de choix des tribunaux de commerce.

 

·                            Mais le vrai tournant se situe en 1982, lorsqu'il est chargé du dossier de sauvegarde de Terraillon, une entreprise de pesage connue installée dans le Nord. Cette société intéresse la SDBO (Société de la banque occidentale), une des filiales du Crédit lyonnais, et plus particulièrement Pierre Despessailles, directeur de la banque et mentor de Bernard Tapie depuis 1977. Entre Jean-Louis Borloo et Bernard Tapie, qui a déjà acquis une certaine notoriété depuis la reprise de Manufrance en 1980, le courant passe très bien. L'avocat fera tout pour faciliter son projet de reprise de Terraillon. Bernard Tapie abandonnera son avocat historique, Claude Colombani, qui lui a mis le pied à l'étrier pour Jean-Louis Borloo. Pendant dix ans, ils ne quitteront plus, devenant les modèles du «nouvel esprit d'entreprise».

 


Mais avec Terraillon, Jean-Louis Borloo fait plus que lier son sort avec Bernard Tapie. Il devient l'interlocuteur de la SDBO, il intègre le système Crédit lyonnais. Car c'est bien un système occulte qui s'est mis en place, à l'époque. Pierre Despessailles, le directeur de la SDBO, y est au centre. L'homme est si puissant que même Jean Deflassieux, président du Crédit lyonnais entre 1981 et 1986, ne réussira pas à l'évincer, en dépit de ses nombreuses tentatives.

 

Banquier, Pierre Despessailles est aussi l'auteur d'un ouvrage qui fait référence sur les banques et les faillites. En 1977, il devient juge puis, à partir de 1981, président de la première chambre du tribunal de commerce de Paris. C'est là où se jugent toutes les affaires économiques importantes. Par ses fonctions, il a la primeur sur les dossiers, connaît ceux qui menacent sa banque, peut repérer les plus intéressants, sait les leviers qu'il faut actionner pour soutenir une candidature de reprise ou une autre.

 

L'arrivée de Jean-Louis Borloo permet de compléter le dispositif. L'avocat s'est entouré d'une équipe de comptables, de fiscalistes pour décortiquer les dossiers. Lorsqu'ils arrivent en audience, ils ont déjà tout en main. La méthode est simple: il s'agit d'abord de s'assurer qu'il existe des actifs de valeur dans l'entreprise. Ensuite, un dossier de reprise est monté pour un franc symbolique –rarement plus– , les créanciers sont priés de renoncer à tout ou partie de leurs crédits. Puis de l'argent frais est apporté, soit sous forme d'augmentation de capital pour sortir les actionnaires restants qui pourraient se transformer en gêneurs, soit sous forme de crédit bancaire pour rembourser la dette existante restante et au-delà. La vente des actifs sert à rembourser les crédits, tandis que des plans de restructuration se succèdent, la société est vendue et le repreneur et ses associés empochent la différence. «La technique est toujours la même pour tout le monde: de la pure technique financière», reconnaîtra plus tard Jean-Louis Borloo.

 

Pour verrouiller l'ensemble, un troisième étage sera ajouté par la suite. Car pour que tout se déroule sans anicroche, il fallait aussi s'assurer de la bienveillance des administrateurs judiciaires, nommés par le tribunal de commerce et censés surveiller les plans de reprise. Ceux-ci seront directement intéressés au système: les fonds des entreprises dont ils ont la charge s'ils déposent le plan à la SDBO, à la banque Vernes ou à la banque Rivaud, ne seront pas rémunérés comme ils doivent l'être. En contrepartie, ces banques amies leur accordent des crédits personnels à des taux défiant toute concurrence (4 à 5% au lieu de 15% à 18% à l'époque), dont parfois les banques n'exigeront pas le remboursement. Ces pratiques dureront jusqu'à l'effondrement du Crédit lyonnais et ne seront jugées qu'en mars 2008. «Il ressort de l'examen des faits (que Pierre Despessailles) a mis en place un véritable système de corruption, auquel bon nombre d'administrateurs ont acquiescé avec plus ou moins de voracité», écrit alors le tribunal dans son jugement, en condamnant plusieurs d'entre eux à des peines de prison avec sursis. Pierre Despessailles, décédé en juillet 2007, échappera à la justice. Lors de la Commission d'enquête parlementaire sur le Crédit lyonnais en 1994, ni Pierre Despessailles, pourtant mis en cause à de nombreuses reprises, ni Jean-Louis Borloo, ne seront auditionnés.

 

 

·                            En attendant, le cabinet Saigne, Borloo et associés, installé au 4 de la rue Brunel dans le XVIIe arrondissement de Paris, prospère à vue d'œil. Terraillon, Testut, Look, Wonder... il est de toutes les opérations de reprise de Bernard Tapie. Ces rachats se font la plupart du temps avec le soutien massif des édiles politiques, désemparés par la faillite de leur industrie locale. C'est ainsi que Pierre Bérégovoy deviendra un des appuis inaliénables de Bernard Tapie, «sauveur» de l'entreprise Look à Nevers. Jacques Mellick, maire de Béthune, ira jusqu'à faire un faux témoignage en sa faveur lors de l'affaire du match truqué OM-Valenciennes, en souvenir de la reprise de Testut. Les salariés des différentes entreprises, eux, découvriront le goût amer des plans de reprise présentés par Bernard Tapie et concoctés par Jean-Louis Borloo.


Moins médiatiques, d'autres repreneurs suivent le même chemin. Michel Coencas, par exemple. Un des grands amis de Jean-Louis Borloo, qui avoue son admiration pour ce repreneur capable de se décider sur un dossier sur un simple coup de fil. Et des affaires, l'avocat d'affaires lui en a proposé de multiples.

 

Fils d'une famille de ferrailleurs, Michel Coencas réussit ainsi à bâtir très vite un empire en reprenant des entreprises en difficulté. Ses centres d'intérêt sont moins en lumière: il s'agit de ferrailles, de fonderie, de sous-traitance automobile. Il est bientôt à la tête d'un ensemble, Valfond, qui pèse plusieurs milliards de francs. Comme Bernard Tapie, il a des ennuis avec le fisc qui s'interroge sur les allers-retours des actifs des entreprises reprises. Alors que celui-ci lui réclame une ardoise de 11 millions de francs, il va trouver une aide auprès de Nicolas Sarkozy, alors ministre de budget, grâce à l'introduction de Christian Estrosi. L'ardoise fiscale sera miraculeusement effacée. Comme Bernard Tapie, il se reconvertira plus tard dans le foot et fréquentera le show biz, ayant élu demeure à Saint-Tropez après avoir racheté la villa d'Eddy Barclay. Condamné à deux ans de prison pour escroquerie en 2006, il a été remis en liberté en octobre 2007.  

 

Derrière, les «grands entrepreneurs» des années 1980 se bousculent, rue Brunel. On retrouve François Pinault, alors simple négociant en bois, qui comprend vite l'intérêt de la méthode Borloo, surtout si l'entreprise se situe dans le fief d'hommes politiques importants. Vincent Bolloré, ancien condisciple de Jean-Louis Borloo au lycée Janson de Sailly, traîne aussi dans les bureaux. Henri Morel, le patron de la société française de participations industrielles (SFPI), fera fortune avec l'aide du cabinet. Bref, à l'exception de Bernard Arnault, ils sont pléthore à comprendre l'avantage à avoir Jean-Louis Borloo comme avocat. Il a toutes les clés pour ouvrir les tribunaux de commerce et donner accès aussi au Crédit lyonnais et à ses filiales.

 

·                            Jean-Louis Borloo, lui, goûte toutes les joies du pouvoir et de l'argent. Il roule carrosse, fréquente le show biz, investit Saint-Tropez l'été. Son cabinet d'affaires est alors un des plus gros de la place de Paris. Car tout en cultivant son côté transgressif et hors norme, l'homme n'oublie ses intérêts: son cabinet, qui emploie plus de 50 personnes, réalise plus de 20 millions de chiffres d'affaires. «Je ne suis pas un avocat, je suis un chef d'entreprise», dit-il au milieu des années 1980. L'avocat a veillé à pouvoir profiter de ses conseils: dans chaque dossier de reprise, il est associé au côté du repreneur avec un petit pourcentage. Une façon sûre de jouer à qui veut gagner des millions. Pour mémoire, Bernard Tapie a réalisé plus de 600 millions de francs de plus-values entre la vente de Look, Wonder, etc. Jean-Louis Borloo a naturellement eu sa part.

 

 

En 1988, l'avocat prend même une participation de 25% dans la création d'une société, A. Finances, située à Neuilly. Son objet est de prendre des participations dans toute société industrielle ou commerciale, chantiers, promesses de vente, etc. Plusieurs des associés de son cabinet sont à ses côtés dans cette entreprise. Il s'est adjoint aussi l'appui de deux grands partenaires financiers: le premier est Pallas Gestion, émanation de la banque Pallas Stern qui fera une faillite retentissante en 1994; le second est une holding suisse d'origine italienne, la Sasea, qui s'illustrera aux côtés de Giancarlo Parretti dans la reprise de Pathé puis du studio hollywoodien, MGM, avant de faire faillite en 1991. Depuis sa création, A. Finances n'a déposé aucun compte auprès du tribunal de commerce. Mais elle n'a jamais été radiée non plus.

 

Dès cette époque, Jean-Louis Borloo commence cependant à prendre le large. En 1986, il a été approché en tant qu'avocat pour étudier le dossier de reprise de l'association de football de Valenciennes, alors en pleine déconfiture. Comme son ami Bernard Tapie qui a pris l'OM quelques mois plus tôt, il décide de franchir le pas et d'investir lui-même. Du club de foot, il passe à la mairie de Valenciennes et investit dans des projets sociaux. Une grande partie de sa fortune –entre 20 et 30 millions de francs– seront engloutis dans ses différentes opérations, selon ses dires.

 

Au moment du match truqué OM-Valenciennes en mai 1993, Jean-Louis Borloo, même s'il a conservé des parts, n'est plus président du club valenciennois. Le président en titre est alors... Michel Coencas. Tapie, Coencas, Borloo : la coïncidence est troublante mais, une fois de plus, Jean-Louis Borloo restera à l'extérieur de tout cela. «Le procureur (Eric de Montgolfier) a cherché pendant trois ans, il n'a jamais rien trouvé», se félicite-t-il plus tard. 

 

Au tournant des années 2000, il a un coup de blues. Il vient d'abandonner sur un coup de tête François Bayrou, dont il était le porte-parole. Ses différentes aventures politiques –génération écologie puis adhésion à l'UDF– ne lui ont pas apporté le poids qu'il souhaitait. A Valenciennes, rien n'avance aussi vite que prévu. Alors, il pense à un moment retourner à son cabinet d'avocats où il a toujours des parts. Il tourne autour du dossier Moulinex, donne quelques conseils gracieux sur la reprise de la compagnie aérienne Air Lib. Mais il comprend vite que l'époque a changé. La martingale des années 1980 a disparu.

 

Retour donc à la politique. Il s'active beaucoup sur les dossiers de la ville, de l'environnement. Plus discrètement, il se démènera aussi pour torpiller le projet de réforme des tribunaux de commerce, formé à la suite de la commission d'enquête parlementaire menée par François Colcombet et Arnaud Montebourg en 1998. La loi ne verra jamais le jour. «Je pourrai dessiner tribunal par tribunal la carte des loges maçonniques», expliquera plus tard François Colcombet, persuadé d'avoir échoué en raison de ces liens. Jean-Louis Borloo assumera lui sa défense des tribunaux de commerce, des administrateurs judiciaires, des repreneurs,«des mecs plutôt bien». «Il ne faut pas juger les hommes mais les actes», assure-t-il.


Publié dans Politique

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C
<br /> Borloo, Tapie, tous ces gens devenus riches sans scrupule, aucun scrupule, additionnés à certains énarques...plus de véritables escrocs en col blanc, comment peut-on croire à la politique.<br /> Comment se fait-il que vous ne puissiez pas éditer un tel article pour le grand public? Je connais Tapie pour ses DELIS commis en Haute-Savoie, dont Terraillon. Tapie Borloo - Borloo<br /> Tapie...Comment les français peuvent-ils être dupes à ce point ?<br /> <br /> <br />
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V
<br /> avec lui, il y a de quoi faire, et encore c'est peut-être le moins corrumpu de ce gouvernement, c'est dire !<br /> <br /> <br />
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