Le jackpot des retraites-chapeaux
Une fois retirés des affaires, la moitié des PDG du CAC toucheront 41 fois la pension d'un retraité français, grâce à la rente versée par leur entreprise. Palmarès exclusif des retraites haut de forme à la française.
Fin juillet,le Sénat a alourdi la taxationdes retraites chapeau dontbénéficient les grands patrons en France, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012. La taxe sur le montant de ces pensions passe de 12 à 24%. Une proposition dans l'air du temps, à l'heure où les actionnaires commencent à se rebeller contre les largesses accordées aux grands patrons.
Retraite moyenne d'un salarié 16 000 euros par an
Retraite moyenne d'un patron "chapeauté" 660 000 euros par an
Le 31 mai, lors d'une de ces grand-messes d'actionnaires célébrées par un PDG habituellement incontesté,Jean-Paul Herteman, à la tête de Safran, se voit refuser la pension de retraite complémentaire proposée par ses administrateurs. Actionnaire à hauteur de 30 %, l'Etat a voté contre, et les autres investisseurs ont suivi. Le 15 juin, son homologue de Carrefour,Lars Olofsson, reçoit à son tour un camouflet : quelque 46,1 % de ses actionnaires disent non à sa retraite-chapeau. Acceptée à une courte majorité, sa rente viagère devrait se monter à 491 000 euros annuels au terme d'à peine trois ans d'ancienneté... et d'un cours de Bourse en baisse de 40 %.
Nom | Société | Age | Ancienneté actuelle | Montant annuel à percevoir à 62 ans (1) | Taux de remplacement (2) |
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1. Franck Riboud | Danone | 57 ans | 31 ans | 1 763 291 euros | 61 % |
2. Jean-Paul Agon | L'Oréal | 56 ans | 27 ans | 1 482 250 euros | 37 % |
3. Henri de Castries | Axa | 58 ans | 23 ans | 1 039 500 euros | 34 % |
4. Bernard Arnault | LVMH | 63 ans | 28 ans | 643 812 euros(3) | 16 % |
5. Gérard Mestrallet | GDF Suez | 63 ans | 22 ans | 640 141 euros(3) | 19 % |
6. Christophe de Margerie | Total | 61 ans | 38 ans | 564 493 euros | 19 % |
7. Pierre Pringuet | Pernod-Ricard | 62 ans | 25 ans | 516 938 euros | 19 % |
8. Hubert Sagnières | Essilor | 57 ans | 23 ans | 496 139 euros | 33 % |
9. Lars Olofsson (4) | Carrefour | 61 ans | 3 ans | 491 022 euros | 18 % |
10. Thierry Pilenko | Technip | 54 ans | 5 ans | 476 078euros | 23 % |
11. Benoît Potier | Air liquide | 55 ans | 31 ans | 473 887euros | 18 % |
12. Gilles Schnepp | Legrand | 54 ans | 23 ans | 456 745euros | 31 % |
13. Jean-Paul Chifflet | Crédit agricole | 63 ans | 39 ans | 421 200euros(3) | 27 % |
14. Denis Hennequin | Accor | 54 ans | 1 an | 392 818euros | 17 % |
15. Jean-Bernard Lévy | Vivendi | 57 ans | 10 ans | 327 348 euros | 11 % |
16. Antoine Frérot | Veolia Environnement | 53 ans | 22 ans | 307 674 euros | 25 % |
17. Patrick Kron | Alstom | 58 ans | 9 ans | 294 812 euros | 14 % |
18. Martin Bouygues | Bouygues | 60 ans | 38 ans | 290 976 euros | 13 % |
19. Xavier Huillard | Vinci | 58 ans | 34 ans | 290 976 euros | 16 % |
20. Philippe Varin | Peugeot | 60 ans | 3 ans | 258 213 euros | 9 % |
21. Bruno Lafont | Lafarge | 56 ans | 29 ans | 211 640 euros | 13 % |
22. Philippe Crouzet | Vallourec | 56 ans | 3 ans | 145 488 euros | 11 % |
Moyenne CAC 40 | 58ans | 21ans | 544 850 euroeuros | 22% |
(1) Montant estimé au moment du départ à la retraite. (2) Par rapport à la rémunération perçue en 2011. (3) Somme annuelle perçue en cas de départ immédiat à la retraite. (4) Retraité fin 2012.
Un patron du CAC 40 sur deux dispose d'une retraite-chapeau. Cette surcomplémentaire dépend du régime en vigueur spécifique à chaque société mais aussi de l'ancienneté du patron dans le groupe. En règle générale, la société garantit une fraction de sa rémunération (de 1 à 2 %) par année de présence. Les montants mentionnés prennent pour hypothèse un départ à 62 ans avec comme base de calcul la dernière rémunération connue au titre de 2011.
Après les excès des bonus, les abus des stock-options, les distributions généreuses d'actions gratuites, c'est le chèque qui a fait déborder le compte. Petits porteurs, fonds de pension, investisseurs fortunés et actionnaire public deviennent chatouilleux sur cette question. Et les montants révélés par L'Expansion ne risquent pas d'apaiser leur courroux à l'endroit de ce privilège managérial : la moitié des patrons du CAC 40 profitent d'un tel système de gratification, et chacun de ces bénéficiaires devrait partir à la retraite à 62 ans avec une rente viagère moyenne estimée à 545 000 euros. En plus, bien sûr, des 120 000 euros environ garantis par le régime obligatoire (Cnav, Arrco, Agirc). Soit quarante et une fois la pension moyenne d'un retraité français.
Franck Riboud conservera les deux tiers de son salaire actuelEt encore, cette simple moyenne cache de grandes disparités entre patrons. Le montant de la retraite dite "surcomplémentaire" - joli préfixe accolé à un nom déjà additif - dépend de l'ancienneté du capitaine. Les présidents maison, arrivés en haut de l'affiche en plusieurs décennies, touchent logiquement le gros lot. Ceux qui ont été débauchés de fraîche date figurent en bas du classement. Le CAC compte trois futurs "pensionnés millionnaires". D'abord, Franck Riboud, le PDG de Danone, pourrait - sur la base de sa rémunération actuelle - partir dans cinq ans en bénéficiant d'une prestation annuelle de 1,76 million d'euros. Son contrat lui promet 2 % de son salaire par année d'ancienneté. Un taux bien mince sur le papier, mais, entré tout jeune dans la maison Danone, il pourra revendiquer au moment de rendre son tablier presque les deux tiers de son salaire. Son homologue de L'Oréal, Jean-Paul Agon, le talonne avec une rente attendue d'environ 1,5 million, l'équivalent de son salaire fixe sa vie durant. Enfin, la médaille de bronze de la retraite en or revient à Henri de Castries. Lui aussi, entré tout jeune à Axa, pourra toucher à 62 ans le tiers de sa belle rémunération, soit environ 1 million d'euros.
Nom | Société | Age | Ancienneté dans l'entreprise | Montant annuel perçu |
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Lindsay Owen-Jones | L'Oréal | 66 ans | 37 ans | 3 416 479 euros |
Jean-René Fourtou | Sanofi-Aventis | 73 ans | 20 ans | 1 640 304 euros |
Alain Joly | Air liquide | 74 ans | 44 ans | 1 157 000 euros |
Henri Proglio | Veolia | 63 ans | 37 ans | 742 000 euros |
Pierre Richard | Dexia | 71 ans | 21 ans | 583 000 euros |
Jean-Louis Beffa | Saint-Gobain | 71 ans | 26 ans | 570 620 euros |
Henri Lachmann | Schneider Electric | 74 ans | 9 ans | 558 273 euros |
Ces PDG viennent déjà de rendre leur tablier et coulent une retraite de rêve. Le chapeau le plus chic appartient à Lindsay Owen-Jones, anciennement à la tête de L'Oréal. Sanofi-Aventis s'est montré très généreux avec l'ancien patron de Rhône-Poulenc, Jean-René Fourtou, comme Air liquide avec Alain Joly. Henri Proglio, l'ancien dirigeant de Veolia Environnement devenu patron d'EDF, perçoit 742 000 euros et devance Pierre Richard, l'ex-PDG de Dexia.
"Les sommes peuvent paraître élevées, mais ce système, développé dans les années 80, visait à fidéliser les talents. Les cadres dirigeants les plus méritants se voient encouragés à rester dans les murs pour poursuivre leur carrière", explique Bruno Fourage, du cabinet Mercer Human Resource Consulting. Sans doute, mais, à la différence des régimes de retraite classiques, ces retraites-chapeaux pèsent intégralement sur les comptes des entreprises. Et, en ces temps d'économies, voire de réductions d'effectifs, assurer les vieux jours d'un PDG déjà bien gratifié ne passe pas très bien. Selon les calculs de Sylvain Rousseau, spécialiste des rémunérations patronales à Towers Watson, il faut mettre 24,7 euros de côté pour assurer 1 euro de rente viagère à son dirigeant : la vingtaine de patrons "chapeautés" du CAC 40 coûteraient au total 297 millions d'euros. Environ 13,5 millions chacun en moyenne.
Des règles de limitation très strictes s'imposent déjà
Voici un beau symbole comme la gauche les aime après une victoire électorale. Sur proposition du groupe communiste, le Sénat vient d'alourdir le régime fiscal de la retraite-chapeau versée aux cadres dirigeants. Un amendement passé en plein été - le 31 juillet -, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012, avec la bénédiction du gouvernement. Selon l'article 26 bis, la taxe sur le montant de ces pensions haut de gamme, payée par l'employeur, passe de 12 à 24%. "Le dispositif devient désormais très coûteux pour l'entreprise. Payer une rente revient plus cher que verser un salaire", analyse Sylvain Rousseau, directeur du département retraites et avantages sociaux de Towers Watson. Un petit calcul réalisé par ses soins laisse songeur : pour 100 euros de retraite complémentaire (net de taxes et d'impôts) payés à un ancien cadre supérieur, l'entreprise doit maintenant s'acquitter de 316 euros, contre 285 avant la taxe sénatoriale. Alors que 100 euros de salaire lui en coûteraient "seulement" 256.
"Pour freiner les dépenses à la charge du groupe, et donc des actionnaires, il faut absolument plafonner le barème des pensions, sinon le législateur finira par supprimer ce système de plus en plus critiqué", propose le sage Daniel Lebègue, président de l'Institut français des administrateurs.
Certains patrons s'astreignent déjà à des règles de limitation très strictes. Antoine Frérot, à la tête de Veolia, ne pourra pas toucher une pension supérieure au quart de son salaire, malgré ses vingt-deux ans de maison. Philippe Crouzet, le patron de Vallourec, se heurtera à un plafond assez bas : quatre fois le maximum de la Sécurité sociale, soit 146 000 euros annuels, l'équivalent de 11 % de son salaire. Martin Bouygues, plus heureux, ira jusqu'à huit fois (291 000 euros). Xavier Huillard (Vinci), avec ses trente-quatre ans d'ancienneté, devrait bénéficier d'une pension complémentaire égale à seulement 16 % de sa rémunération actuelle.
A Alcatel-Lucent, Ben Verwaayen doit satisfaire à des critères financiers et boursiers pour toucher la rente promise par son groupe. "En fait, depuis l'arrivée de nouvelles normes comptables, dans les années 2000, les entreprises doivent publier le coût de ces retraites surcomplémentaires. Les actionnaires regardent donc les régimes de plus près, et les administrateurs mettent davantage de garde-fous. Les règles en vigueur dans les années 90 faisaient de bien plus belles pensions", explique Sylvain Rousseau. Même les retraites du CAC 40, c'était mieux avant ! Lindsay Owen-Jones, l'ancien patron de L'Oréal, touche 3,4 millions d'euros par an. La retraite maison versée par Sanofi à Jean-René Fourtou se monte à 1,6 million. Celle d'Alain Joly, l'ancien PDG d'Accor, dépasse le million. "Ces patrons très bien rémunérés ne peuvent-ils pas mettre un peu de côté pendant leurs années d'activité, au lieu de se voir proposer en plus une rente viagère ?" fait mine d'interroger Colette Neuville, la pasionaria des petits porteurs, toujours à l'affût des abus patronaux. A 75 ans, elle ne risque pas de prendre sa retraite.