Le jackpot des retraites-chapeaux

Publié le par DA Estérel 83

L'Expension

 

 

Une fois retirés des affaires, la moitié des PDG du CAC toucheront 41 fois la pension d'un retraité français, grâce à la rente versée par leur entreprise. Palmarès exclusif des retraites haut de forme à la française.

Danone, est le futur retraité le plus gâté du CAC 40. Il devrait percevoir 1,76 million d'euros par an.
Danone, est le futur retraité le plus gâté du CAC 40. Il devrait percevoir 1,76 million d'euros par an.
REUTERS/Charles Platiau

Fin juillet,le Sénat a alourdi la taxationdes retraites chapeau dontbénéficient les grands patrons en France, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012. La taxe sur le montant de ces pensions passe de 12 à 24%. Une proposition dans l'air du temps, à l'heure où les actionnaires commencent à se rebeller contre les largesses accordées aux grands patrons.

Retraite moyenne d'un salarié 16 000 euros par an

Retraite moyenne d'un patron "chapeauté" 660 000 euros par an

Une insurrection d'investisseurs !

Le 31 mai, lors d'une de ces grand-messes d'actionnaires célébrées par un PDG habituellement incontesté,Jean-Paul Herteman, à la tête de Safran, se voit refuser la pension de retraite complémentaire proposée par ses administrateurs. Actionnaire à hauteur de 30 %, l'Etat a voté contre, et les autres investisseurs ont suivi. Le 15 juin, son homologue de Carrefour,Lars Olofsson, reçoit à son tour un camouflet : quelque 46,1 % de ses actionnaires disent non à sa retraite-chapeau. Acceptée à une courte majorité, sa rente viagère devrait se monter à 491 000 euros annuels au terme d'à peine trois ans d'ancienneté... et d'un cours de Bourse en baisse de 40 %.

Le classement des futurs golden papys du CAC 40...
Nom Société Age Ancienneté actuelle Montant annuel à percevoir à 62 ans (1) Taux de remplacement (2)
1. Franck Riboud Danone 57 ans 31 ans 1 763 291 euros 61 %
2. Jean-Paul Agon L'Oréal 56 ans 27 ans 1 482 250 euros 37 %
3. Henri de Castries Axa 58 ans 23 ans 1 039 500 euros 34 %
4. Bernard Arnault LVMH 63 ans 28 ans 643 812 euros(3) 16 %
5. Gérard Mestrallet GDF Suez 63 ans 22 ans 640 141 euros(3) 19 %
6. Christophe de Margerie Total 61 ans 38 ans 564 493 euros 19 %
7. Pierre Pringuet Pernod-Ricard 62 ans 25 ans 516 938 euros 19 %
8. Hubert Sagnières Essilor 57 ans 23 ans 496 139 euros 33 %
9. Lars Olofsson (4) Carrefour 61 ans 3 ans 491 022 euros 18 %
10. Thierry Pilenko Technip 54 ans 5 ans 476 078euros 23 %
11. Benoît Potier Air liquide 55 ans 31 ans 473 887euros 18 %
12. Gilles Schnepp Legrand 54 ans 23 ans 456 745euros 31 %
13. Jean-Paul Chifflet Crédit agricole 63 ans 39 ans 421 200euros(3) 27 %
14. Denis Hennequin Accor 54 ans 1 an 392 818euros 17 %
15. Jean-Bernard Lévy Vivendi 57 ans 10 ans 327 348 euros 11 %
16. Antoine Frérot Veolia Environnement 53 ans 22 ans 307 674 euros 25 %
17. Patrick Kron Alstom 58 ans 9 ans 294 812 euros 14 %
18. Martin Bouygues Bouygues 60 ans 38 ans 290 976 euros 13 %
19. Xavier Huillard Vinci 58 ans 34 ans 290 976 euros 16 %
20. Philippe Varin Peugeot 60 ans 3 ans 258 213 euros 9 %
21. Bruno Lafont Lafarge 56 ans 29 ans 211 640 euros 13 %
22. Philippe Crouzet Vallourec 56 ans 3 ans 145 488 euros 11 %
Moyenne CAC 40 58ans 21ans 544 850 euroeuros 22%

(1) Montant estimé au moment du départ à la retraite. (2) Par rapport à la rémunération perçue en 2011. (3) Somme annuelle perçue en cas de départ immédiat à la retraite. (4) Retraité fin 2012.

Un patron du CAC 40 sur deux dispose d'une retraite-chapeau. Cette surcomplémentaire dépend du régime en vigueur spécifique à chaque société mais aussi de l'ancienneté du patron dans le groupe. En règle générale, la société garantit une fraction de sa rémunération (de 1 à 2 %) par année de présence. Les montants mentionnés prennent pour hypothèse un départ à 62 ans avec comme base de calcul la dernière rémunération connue au titre de 2011.

Après les excès des bonus, les abus des stock-options, les distributions généreuses d'actions gratuites, c'est le chèque qui a fait déborder le compte. Petits porteurs, fonds de pension, investisseurs fortunés et actionnaire public deviennent chatouilleux sur cette question. Et les montants révélés par L'Expansion ne risquent pas d'apaiser leur courroux à l'endroit de ce privilège managérial : la moitié des patrons du CAC 40 profitent d'un tel système de gratification, et chacun de ces bénéficiaires devrait partir à la retraite à 62 ans avec une rente viagère moyenne estimée à 545 000 euros. En plus, bien sûr, des 120 000 euros environ garantis par le régime obligatoire (Cnav, Arrco, Agirc). Soit quarante et une fois la pension moyenne d'un retraité français.

Franck Riboud conservera les deux tiers de son salaire actuel

Et encore, cette simple moyenne cache de grandes disparités entre patrons. Le montant de la retraite dite "surcomplémentaire" - joli préfixe accolé à un nom déjà additif - dépend de l'ancienneté du capitaine. Les présidents maison, arrivés en haut de l'affiche en plusieurs décennies, touchent logiquement le gros lot. Ceux qui ont été débauchés de fraîche date figurent en bas du classement. Le CAC compte trois futurs "pensionnés millionnaires". D'abord, Franck Riboud, le PDG de Danone, pourrait - sur la base de sa rémunération actuelle - partir dans cinq ans en bénéficiant d'une prestation annuelle de 1,76 million d'euros. Son contrat lui promet 2 % de son salaire par année d'ancienneté. Un taux bien mince sur le papier, mais, entré tout jeune dans la maison Danone, il pourra revendiquer au moment de rendre son tablier presque les deux tiers de son salaire. Son homologue de L'Oréal, Jean-Paul Agon, le talonne avec une rente attendue d'environ 1,5 million, l'équivalent de son salaire fixe sa vie durant. Enfin, la médaille de bronze de la retraite en or revient à Henri de Castries. Lui aussi, entré tout jeune à Axa, pourra toucher à 62 ans le tiers de sa belle rémunération, soit environ 1 million d'euros.

.... Et de ceux qui profitent déjà d'une surcomplémentaire dorée
Nom Société Age Ancienneté dans l'entreprise Montant annuel perçu
Lindsay Owen-Jones L'Oréal 66 ans 37 ans 3 416 479 euros
Jean-René Fourtou Sanofi-Aventis 73 ans 20 ans 1 640 304 euros
Alain Joly Air liquide 74 ans 44 ans 1 157 000 euros
Henri Proglio Veolia 63 ans 37 ans 742 000 euros
Pierre Richard Dexia 71 ans 21 ans 583 000 euros
Jean-Louis Beffa Saint-Gobain 71 ans 26 ans 570 620 euros
Henri Lachmann Schneider Electric 74 ans 9 ans 558 273 euros

Ces PDG viennent déjà de rendre leur tablier et coulent une retraite de rêve. Le chapeau le plus chic appartient à Lindsay Owen-Jones, anciennement à la tête de L'Oréal. Sanofi-Aventis s'est montré très généreux avec l'ancien patron de Rhône-Poulenc, Jean-René Fourtou, comme Air liquide avec Alain Joly. Henri Proglio, l'ancien dirigeant de Veolia Environnement devenu patron d'EDF, perçoit 742 000 euros et devance Pierre Richard, l'ex-PDG de Dexia.

"Les sommes peuvent paraître élevées, mais ce système, développé dans les années 80, visait à fidéliser les talents. Les cadres dirigeants les plus méritants se voient encouragés à rester dans les murs pour poursuivre leur carrière", explique Bruno Fourage, du cabinet Mercer Human Resource Consulting. Sans doute, mais, à la différence des régimes de retraite classiques, ces retraites-chapeaux pèsent intégralement sur les comptes des entreprises. Et, en ces temps d'économies, voire de réductions d'effectifs, assurer les vieux jours d'un PDG déjà bien gratifié ne passe pas très bien. Selon les calculs de Sylvain Rousseau, spécialiste des rémunérations patronales à Towers Watson, il faut mettre 24,7 euros de côté pour assurer 1 euro de rente viagère à son dirigeant : la vingtaine de patrons "chapeautés" du CAC 40 coûteraient au total 297 millions d'euros. Environ 13,5 millions chacun en moyenne.

Des règles de limitation très strictes s'imposent déjà

Chapeau bas, messieurs les sénateurs !

Voici un beau symbole comme la gauche les aime après une victoire électorale. Sur proposition du groupe communiste, le Sénat vient d'alourdir le régime fiscal de la retraite-chapeau versée aux cadres dirigeants. Un amendement passé en plein été - le 31 juillet -, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2012, avec la bénédiction du gouvernement. Selon l'article 26 bis, la taxe sur le montant de ces pensions haut de gamme, payée par l'employeur, passe de 12 à 24%. "Le dispositif devient désormais très coûteux pour l'entreprise. Payer une rente revient plus cher que verser un salaire", analyse Sylvain Rousseau, directeur du département retraites et avantages sociaux de Towers Watson. Un petit calcul réalisé par ses soins laisse songeur : pour 100 euros de retraite complémentaire (net de taxes et d'impôts) payés à un ancien cadre supérieur, l'entreprise doit maintenant s'acquitter de 316 euros, contre 285 avant la taxe sénatoriale. Alors que 100 euros de salaire lui en coûteraient "seulement" 256.

"Pour freiner les dépenses à la charge du groupe, et donc des actionnaires, il faut absolument plafonner le barème des pensions, sinon le législateur finira par supprimer ce système de plus en plus critiqué", propose le sage Daniel Lebègue, président de l'Institut français des administrateurs.

Certains patrons s'astreignent déjà à des règles de limitation très strictes. Antoine Frérot, à la tête de Veolia, ne pourra pas toucher une pension supérieure au quart de son salaire, malgré ses vingt-deux ans de maison. Philippe Crouzet, le patron de Vallourec, se heurtera à un plafond assez bas : quatre fois le maximum de la Sécurité sociale, soit 146 000 euros annuels, l'équivalent de 11 % de son salaire. Martin Bouygues, plus heureux, ira jusqu'à huit fois (291 000 euros). Xavier Huillard (Vinci), avec ses trente-quatre ans d'ancienneté, devrait bénéficier d'une pension complémentaire égale à seulement 16 % de sa rémunération actuelle.

A Alcatel-Lucent, Ben Verwaayen doit satisfaire à des critères financiers et boursiers pour toucher la rente promise par son groupe. "En fait, depuis l'arrivée de nouvelles normes comptables, dans les années 2000, les entreprises doivent publier le coût de ces retraites surcomplémentaires. Les actionnaires regardent donc les régimes de plus près, et les administrateurs mettent davantage de garde-fous. Les règles en vigueur dans les années 90 faisaient de bien plus belles pensions", explique Sylvain Rousseau. Même les retraites du CAC 40, c'était mieux avant ! Lindsay Owen-Jones, l'ancien patron de L'Oréal, touche 3,4 millions d'euros par an. La retraite maison versée par Sanofi à Jean-René Fourtou se monte à 1,6 million. Celle d'Alain Joly, l'ancien PDG d'Accor, dépasse le million. "Ces patrons très bien rémunérés ne peuvent-ils pas mettre un peu de côté pendant leurs années d'activité, au lieu de se voir proposer en plus une rente viagère ?" fait mine d'interroger Colette Neuville, la pasionaria des petits porteurs, toujours à l'affût des abus patronaux. A 75 ans, elle ne risque pas de prendre sa retraite.

Publié dans Retraite

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article