La tortue obligée de faire le lièvre

Publié le par DA Estérel 83

CL11112010

 

 

Au lieu d'alimenter la machine à fantasmes en prédisant qu'on s'apprête à faire «le bonheur des délinquants», observons que ce système est en vigueur depuis bien longtemps en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Danemark.

 

Sacrée ironie de l'histoire: après avoir traîné des pieds comme c'est pas permis pour réformer la garde à vue, voilà le gouvernement qui se trouve obligé à un sprint échevelé. En effet, alors que la réforme devait s'appliquer le «premier jour du deuxième mois suivant sa publication au Journal Officiel» soit le 1er juin, la Cour de cassation vient de lui donner le feu vert hier pour une entrée en vigueur... dès ce week-end !

Pas question en effet aux yeux de la juridiction suprême de faire courir ce délai et de prendre le risque de voir des milliers de procédures invalidées car non conformes aux exigences européennes. Et voici donc le garde des Sceaux, Michel Mercier, un homme déjà très occupé ces derniers temps avec la mise en place de la loi faisant entrer les jurés populaires en correctionnelle, forcé hier de lancer un appel à la mobilisation générale de ses troupes !

C'est que voir débarquer des avocats dans les commissariats et des gendarmeries de France et de Navarre pour assister les gardés à vue, ça ne s'improvise pas ! Et voilà que d'un coup semble surgir avec une acuité subite la question des cellules et de leur insalubrité... Voici qu'il va falloir également expliquer aux enquêteurs leur obligation d'informer la personne arrêtée de son droit à garder le silence en attendant l'arrivée de son conseil.

Et c'est forcément tout un comportement, des habitudes à changer quand pendant des dizaines d'années on s'est servi de la garde à vue comme d'un moyen de pression pour recueillir (et parfois extorquer) des aveux. D'ailleurs les enquêteurs ne se privent pas de répéter que la présence de l'avocat va entraver le bon déroulement de l'enquête. Déjà le secrétaire du syndicat de police Alliance prévient: «Si le taux d'élucidation diminue, il faudra interroger ceux qui ont voté la loi ou ceux qui ont réclamé son application immédiate».

Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, on se dit que ce sont les avocats qui doivent être contents. Eh bien pas vraiment. Bien sûr, ils applaudissent à une réforme qu'ils appelaient de leurs voeux depuis si longtemps. Mais ils contestent déjà le tarif de l'aide juridictionnelle: 300 euros pour une garde à vue de 24 heures, ils trouvent cela tellement méprisant de la part du Garde des Sceaux qu'ils seront dans la rue le 4 mai...

Toutes ces réticences, tous ces grincements de dents et tous les incidents qui ne vont pas manquer de surgir dans les premiers temps, ne doivent pas faire oublier que cette réforme - outre qu'elle va mettre fin à l'inflation injustifiée des GAV - est une fantastique avancée démocratique. Au lieu d'alimenter la machine à fantasmes en prédisant qu'on s'apprête à faire «le bonheur des délinquants», observons que ce système est en vigueur depuis bien longtemps en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Danemark. Et que les délits n'y sont pas plus nombreux ou plus mal réprimés. Au contraire.

Publié dans Justice

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