La guerre d’Afghanistan telle que les médias ne la racontent pas

Publié le par DA Estérel 83

Marianne2-copie-1   Jack Dion - Marianne | Mardi 27 Juillet 2010

Et si le général Desportes avait raison ? Des rapports d'incidents publiés sur Internet dépeignent une situation chaotique en Afghanistan après neuf ans de guerre. Une guerre à laquelle participe certes les Etats-Unis mais également la France. Que cela plaise ou non à Hervé Morin.
Il y a quelques jours, le ministre de la Défense, Hervé Morin accordait une interview à La Croix à propos de l’Afghanistan, où il se montrait sinon optimiste du moins rassurant. Il expliquait que « parler de retrait serait contre productif », et que la France, sur le terrain, était en train de « tisser des liens avec  la population ». Il précisait même : « Nos militaires peuvent se promener sans arme ni gilet pare-balles dans certains villages tenus par les talibans il y a deux ans ». Dans la foulée, le ministre confirmait que le général Desportes, célèbre pour avoir écrit exactement le contraire dans les colonnes du Monde, serait « sanctionné ». On ne badine pas avec le devoir de réserve. Fin de la mise au point. Repos.

Or, les fichiers confidentiels de l’armée américaine dévoilés par le site Internet Wikileaks.orgprouvent que c’est le général Desportes qui dit la vérité, et le ministre de la Défense qui prend ses rêves pour la réalité – à moins qu’il ne distille sciemment de fausses informations. Peu importe, d’ailleurs. Le plus grave c’est le tableau dressé par ces 92 000 rapports d’incidents, résumés par les trois journaux qui ont bénéficié de l’exclusivité : The GuardianThe New York Times et Der Spiegel.
     
Que disent donc les 200 000 pages rendues publiques ? Que la guerre d’Afghanistan est d’ores et déjà perdue ; que les victimes civiles se comptent par milliers ; que les atrocités se multiplient tant du côté des talibans que des forces de l’Otan ; que les services secrets pakistanais, formés par les Américains, ont plusieurs fers au feu ; que les talibans utilisent contre les Etats-Unis une partie des armes que ces derniers avaient fourni aux moudjahidines, naguère, pour combattre les soviétiques ; et enfin que l’entourage du président Hamid Karzaï est mouillé jusqu’au cou dans des trafics inavouables et des compromissions insoupçonnées. D’où cette conclusion du Guardian : « Après neuf ans de guerre, c’est le chaos qui menace de triompher en Afghanistan ». 

La vérité oblige à dire que l’on est en plein dans le chaos. Il serait donc urgent de réfléchir à une solution alternative qui devient chaque jour plus délicate à imaginer. La pire des solutions serait de se voiler la face, et de continuer à décrire la situation sur le terrain comme s’il s’agissait d’une vaste « reconquête des cœurs et des esprits », pour reprendre la langue de bois en vigueur chez les militaires. 
Contrairement à ce que racontent les journalistes embarqués (« embedded » disent les pros du sabir anglo-saxon) dans les convois de l’armée, tout va de mal en pis, et les bavures succèdent aux bavures. C’est le lot inévitable de ce genre de guerre. Mais les documents rendus publics sont d’autant plus cinglants qu’ils viennent attester d’une désinformation en règle, notamment de la part des autorités françaises.

Evoquant la divulgation des documents, Le Figaro titre : « La Maison Blanche confrontée à ses « secrets de guerre » ». On sent au passage la joie non dissimulée d’envoyer un Scud dans le jardin d’Obama. Du temps de la guerre d’Irak lancée par Bush, le journal de Serge Dassault se faisait plus circonspect. Passons. En l’occurrence, Le Figaro semble surtout oublier que les Etats-Unis ne sont pas seuls à Kaboul. La France y  est aussi impliquée, et les « secrets de guerre » ne l’épargnent pas.      
Ainsi The Guardian relate notamment un incident d’octobre 2008, lorsque des militaires français n’ont pas hésité à ouvrir le feu contre un bus, blessant huit enfants au passage. Dans le cadre de l’esprit de coopération prônée par l’Otan, faut-il conseiller aux enfants afghans de mettre des gilets pare-balles quand ils prennent le risque de monter dans un autocar ?

En attendant, on peut assurer que le général Desportes, un jour ou l’autre, sera réhabilité (politiquement parlant) tandis que le ministre Hervé Morin devra monter dans la charrette des désavoués.   

Publié dans Nation

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