La campagne législative a déjà commencé A Nice, le FN est bien décidé à tout rafler

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

Le second tour de l'élection présidentielle ? Le Front national niçois n’y pense déjà plus. « C’est plié »« Sarko est cuit »« l’UMP va exploser », se réjouissait la quinzaine de militants réunis, dimanche 22 avril au soir, dans la petite permanence FN du quartier portuaire. Dans cette ville tenue par l’un des fidèles de Nicolas Sarkozy, Christian Estrosi, où le candidat UMP était venu faire son dernier meeting deux jours plus tôt (lire notre reportage), le succès de Marine Le Pen n’a pas surpris grand-monde.

Découverte des résultats du premier tour à la permanence du FN de Nice, 22 avril 2012. © Ellen SalviDécouverte des résultats du premier tour à la permanence du FN de Nice, 22 avril 2012. © Ellen Salvi

Arrivée deuxième avec 23,02 % des suffrages exprimés (contre 34,65 % pour Nicolas Sarkozy et 22,37 % pour François Hollande), la présidente du FN a obtenu de bien meilleurs résultats que son père, Jean-Marie Le Pen, qui réunissait 13,74 % des voix en 2007.« La situation était différente à l’époque, explique Lydia Schénardi, secrétaire nationale du FN et conseillère régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA). Nicolas Sarkozy avait siphonné toutes nos voix. Mais nous les avons récupérées depuis ! Nous avons également gagné quelques abstentionnistes... »

« Non seulement nous avons récupéré les électeurs des quartiers populaires, mais nous avons également fait une avancée dans les catégories socioprofessionnelles supérieures, poursuit Bruno Ligonie, secrétaire départemental adjoint. En tant que gestionnaire du fichier des adhérents des Alpes-Maritimes, je constate un grand nombre d’arrivées de médecins, d’avocats, d’architectes, etc. » Selon M. Ligoni, le fichier du département compte aujourd'hui entre 2 500 et 3 000 adhérents.

Lydia Schénardi et Bruno Ligonie. © ESLydia Schénardi et Bruno Ligonie. © ES

Mediapart a en effet pu constater, sur place, le succès du Front national dans les quartiers populaires comme dans les quartiers chics. Bon nombre d’électeurs de tous âges, interrogés dimanche à la sortie des urnes, confiaient tout de go avoir voté pour Marine Le Pen. « Pour qu’elle existe et que ses idées portent »« pour mettre un coup de pied dans la fourmilière »« pour que ça change »… Chacun avait une bonne raison de voter FN.

Pour beaucoup, ce vote était surtout l’occasion de manifester un ras-le-bol, de la politique en général, de celle de Nicolas Sarkozy en particulier. Mais rares étaient ceux qui voyaient vraiment Marine Le Pen accéder au second tour : « Elle a de bonnes idées, mais elle veut trop en faire, estimait Jeanne, retraitée de 66 ans. C’est pour ça que j’ai voté Nicolas Sarkozy, c’est plus sûr. » « C'est parfois trop radical, sur la communauté européenne, etc., disait pour sa part Mirella, qui venait de voter FN avec son mari, Olivier. C'est pour ça que ça ne passera pas. Mais ça ne me fait pas peur parce que je suis d'accord avec ses idées. » Quant à l’éventualité de glisser un bulletin François Hollande dans l’urne, il n’en était guère question dans cette ville profondément à droite. « A toutes les élections, je vote à droite, assurait Jeanne. Je suis une vraie Niçoise ! »

Mirella et Olivier, restaurateurs, ont voté Le Pen « pour que ses idées portent ». Ils voteront Sarkozy au deuxième tour. © ESMirella et Olivier, restaurateurs, ont voté Le Pen « pour que ses idées portent ». Ils voteront Sarkozy au deuxième tour. © ES

Difficile dans les Alpes-Maritimes, comme ailleurs en France, de savoir dans quelle proportion les voix du FN se reporteront sur la candidature de Nicolas Sarkozy au second tour. « Chez nous, il y a trois tiers, explique Lydia Schénardi. Un noyau dur qui est FN et qui ne votera que FN, un tiers qui vote à droite et qui pourra effectivement voter Nicolas Sarkozy et puis un tiers qui vient de la gauche et qui votera à gauche. Ça ne suffira pas pour que Nicolas Sarkozy passe au second tour, d’autant que je ne vois vraiment pas Marine Le Pen appeler à voter pour lui… » Mais qu’importe le second tour, « les législatives, c’est notre nouveau but ! »s'exclame Mme Schénardi.

« Ils ont géré le pouvoir en voyous »

La semaine précédant le premier tour de l’élection présidentielle, le Front national venait d’investir sa toute dernière candidate dans la 2e circonscription des Alpes-Maritimes, celle du maire de Nice, Christian Estrosi. Ils sont désormais neuf candidats à briguer les postes de députés du département, aujourd’hui aux mains de l’UMP. Non pas directement sous les couleurs du Front national, mais sous celles du « grand rassemblement national » de Marine Le Pen, mouvement créé pour l'occasion, précise l’un d’entre eux, Gaël Nofri, qui se présente dans la 3e circonscription. Ancien membre des cabinets de Jacques Peyrat, Christian Estrosi et du député Eric Ciotti, ce jeune homme de 26 ans est également chargé de mission au « rassemblement national », aux côtés du numéro 2 du FN, Louis Aliot.

Gaël Nofri, candidat FN dans la 3e circonscription des Alpes-Maritimes. © ESGaël Nofri, candidat FN dans la 3e circonscription des Alpes-Maritimes. © ES

« Il y a pas mal de gens qui étaient encartés à l’UMP et qui nous ont rejoints, indique-t-il. On a, par exemple, beaucoup d’anciens membres du Chêne de Michèle Alliot-Marie, dont notamment un qui sera candidat sur Rennes. Mais la plupart des personnes viennent de Philippe de Villiers, Charles Pasqua et Nicolas Dupont-Aignan. Et puis, on a des indépendants, comme le frère de Mme Bachelot (Jean-Yves Narquin, le maire de Villedieu-le-Château – ndlr). La plupart des investitures réservées (il y en avait 30 % – ndlr) ont déjà été accordées à des gens du rassemblement national. Sur 577, on doit être à 500 circonscriptions investies et le rassemblement national doit se situer à 18-20 %. »

Sur le plan national, comme sur le plan local, Gaël Nofri croit lui aussi à un éclatement de l’UMP après la « défaite annoncée » de Nicolas Sarkozy. « Eric Ciotti et Christian Estrosi savent que leur existence, et par ricochet celle de leur entourage, est intimement liée à celle de Nicolas Sarkozy. Le seul argument de l’élection de Christian Estrosi à la tête de la mairie de Nice, c’est quand même le président de la République. Il n’aurait jamais gagné sans Sarko, il ne se serait même pas présenté. »

« Ça ne sera pas tenable après la victoire de Hollande, poursuit-il. Ils ont géré le pouvoir en voyous, ils se sont accaparé le bien public et l’ont géré de façon clanique. Je n’ai jamais été à l’UMP, mais je reçois quand même pas mal de coups de fil… Je sens bien un ras-le-bol des élus et des militants. » Le jeune conseiller de Marine Le Pen va même plus loin, expliquant que« les ferments de la division sont déjà présents » : « Ce n’est pas sûr qu'Estrosi et Ciotti soient dans le même clan une fois l’UMP explosée. Il est même fort probable que Ciotti pense à la mairie de Nice… »

Christian Estrosi, Rudy Salles (député des AM), Nicolas Sarkozy et Eric Ciotti à Nice, mars 2012. © ReutersChristian Estrosi, Rudy Salles (député des AM), Nicolas Sarkozy et Eric Ciotti à Nice, mars 2012. © Reuters

Ce scénario, le directeur de cabinet de Christian Estrosi, Anthony Borré, ne veut pas y croire : « L’hypothèse d’une défaite de Nicolas Sarkozy n’est pas probable, affirme-t-il. Dans tous les cas, Christian Estrosi fera tout pour que la cohésion de l’UMP perdure. »

Pour sa part, le FN local ne l’entend pas de cette oreille, et se voit déjà refuser d’éventuelles alliances en vue des législatives : « Ils pourraient proposer certaines choses dans les circonscriptions où il y aura des triangulaires, assure Gaël Nofri. Ça a déjà été le cas dans les années 1990, lorsqu’on donnait des gages à Jean-Marie Le Pen pour qu’il retire ses candidats. Il le faisait à l’époque parce qu’il y croyait encore. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dupes. »

Mélange des droites niçoises
Jacques Peyrat et Christian Estrosi. © ReutersJacques Peyrat et Christian Estrosi. © Reuters

Aujourd’hui surtout, la droite locale semble avoir jeté aux oubliettes son passé commun avec le Front national. De 1995 à 2008, Nice fut pourtant dirigée par un ancien frontiste, Jacques Peyrat, élu une première fois sous les couleurs d’un parti local créé par ses soins, l’Entente républicaine, avant d’être réélu en 2001, à la tête d'une liste d'union de la droite (RPR-UDF-DL-MPF).

Battu en 2008 par Christian Estrosi, M. Peyrat est redevenu depuis un soutien actif des Le Pen. Et il repart au combat : candidat du« rassemblement national » aux prochaines législatives dans la 1recirconscription des Alpes-Martimes, face à Eric Ciotti, il incarne à lui seul ce mélange des droites niçoises.

Avant Jacques Peyrat, Nice a aussi connu les amitiés entre Jacques Médecin – apparenté RPR – et le Front national. Celui qui fut maire de la ville de 1966 à 1990, et qui donna le surnom de « bébé Medecin » à bon nombre d’élus actuels – en tête desquels Christian Estrosi –, avait d’ailleurs déclaré, dans l'organe d'extrême droiteNational Hebdo, partager les thèses du FN « à 99,9 % ».

Plus récemment, les Azuréens ont également appris que Jean Icart, membre de la majorité de Christian Estrosi au conseil municipal de Nice et au conseil métropolitain, avait donné son parrainage à Marine Le Pen. « Quelques jours avant la clôture des signatures, on m’a dit qu’elle ne bouclait pas. Je trouvais anormal qu’elle ne puisse pas se présenter, s'est justifié l'élu “sans étiquette” auprès de MétroMa démarche est citoyenne et démocratique. »

En outre, Christian Estrosi, qui critiquait il y a encore quelques mois la droitisation de l’UMP et estimait que « rejoindre Marine Le Pen, c'est renier le gaullisme », avait lui-même plaidé, en 1998, pour une alliance entre le FN et le RPR lors de l’élection du président de la région PACA. Si les archives en témoignent, l’équipe du principal intéressé ne veut plus en entendre parler :« Les choses ne se sont pas passées comme cela, assure le chef de cabinet de l’actuel maire de Nice, Anthony Borré. Nous n’avons jamais discuté avec le FN et nous ne discuterons jamais avec eux. Pour les législatives, M. Estrosi fera, comme toujours, une campagne de proximité. Il s’adressera à tous les électeurs, mais ne fera aucune alliance avec le FN. »

 

Lionnel Lucas. © DRLionnel Lucas. © DR
« C’est une évidence, complète Lionnel Luca, figure de la “Droite populaire , la tendance ultra de l'UMP, et candidat aux législatives dans la 6e circonscription des Alpes-Maritimes. Il n’y a jamais eu d’alliances et il n’y en aura jamais. C'est encore un délit de sale gueule qui est assez pénible. Le FN local prend ses désirs pour des réalités. »

 

Pas d’alliances donc, mais comme un programme commun... « Il y a des valeurs sur lesquelles nous pouvons effectivement nous retrouver, explique Charles-Anges Ginésy, conseiller général et candidat dans le 2e circonscription du département. Sur la sécurité, le respect des symboles républicains, l’emploi… » M. Ginésy ne croit pas non plus à une alliance avec le FN en vue des législatives : « Compte tenu de la hauteur du FN, ils auraient des exigences exorbitantes… », dit-il.

Comme Lionnel Luca, Charles-Ange Ginésy explique les scores de Marine Le Pen par le fait que « la droite n’a pas tenu ses valeurs de droite » : « Il aurait fallu rester à droite et laisser à Bayrou ses électeurs », indique-t-il. « La droite n’étant pas restée assez à droite, il y a eu des interférences, ajoute M. Luca. Les résultats de Marine Le Pen n’étonnent que ceux qui restent dans les salons parisiens. Nous, nous l’avions vu venir depuis longtemps, et c’est pour ça que nous avons créé notre mouvement il y a deux ans. Sans la Droite populaire, Nicolas Sarkozy ne serait même arrivé devant le FN. »

Des accords pour les municipales ?
© ES© ES

S’il se défend également de quelconques négociations avec le Front national, Rudy Salles, député Nouveau Centre (NC) des Alpes-Maritimes et candidat à sa propre succession face à Gaël Nofri, explique ne pas avoir « attendu les élections pour faire campagne sur des thématiques de droite » : « J’ai même présenté une proposition de loi pour protéger le drapeau tricolore et la Marseillaise », affirme-t-il à Mediapart.

Le député NC répète avoir combattu le FN « depuis quinze ans » : « Je n’ai jamais discuté avec Jean-Marie Le Pen pour les législatives, poursuit-il, ce n’est pas pour discuter aujourd’hui avec un sous-fifre. » Des propos qui font sourire le « sous-fifre » en question, Gaël Nofri : « Rudy Salles a participé à des manifestations du Front national dans le temps. Évidemment, aujourd’hui, il prétend tout le contraire. »

Pour M. Salles, « les journalistes feraient mieux de demander aux socialistes s’ils passent des accords avec le FN » : « La montée du FN aux législatives, ça aidera surtout la gauche, affirme-t-il.C’est d’ailleurs la même chose au national. Quand j’entends Ségolène Royal faire marche arrière sur le vote des étrangers, je me dis qu’ils ont vraiment avancé cette proposition pour faire monter le Front. » Le droit de vote des étrangers est à chaque fois brandi comme un argument massue. Pas un responsable local de l’UMP, interrogé par Mediapart, qui ne l’évoque.

Dès vendredi dernier, au meeting de Nice, Olivier Bettati, vice-président du conseil général des Alpes-Maritimes et adjoint au maire de Nice (cité dans notre enquête À Nice, l'UMP est rattrapée par l'affaire Guérini), évoquait en ces termes le dilemme auquel seraient confrontés les Français : « Soit venir vers notre famille politique, soit aller vers celle de François Hollande, qui a promis le vote des immigrés aux élections municipales. »

S’il croit en une proximité entre UMP et FN – « Ceux qui refusent de voir qu’elle existe n’ont pas les yeux en face des trous » -, Gaël Nofri précise toutefois qu’il y a un certain nombre de sujets, comme l’Europe, sur lesquels les deux partis ne pourront se mettre d’accord dans l’immédiat. C’est pourquoi le Front national entend bien garder le cap des législatives en mettant en avant son propre programme.

 

Lydia Schénardi. © ESLydia Schénardi. © ES
« Lorsque François Hollande sera élu et que l’UMP aura pris une déculottée, nous représenterons la seule véritable force d’opposition française, se réjouit Lydia Schénardi. Des élus de droite viendront forcément taper à notre porte à ce moment-là, mais ce sera trop tard. Pour tenter de nous séduire, il aurait déjà fallu commencer par remettre de la proportionnelle à l’Assemblée nationale, mais certainement pas de venir au dernier moment avec des propositions bricolées et en nous proposant des petites miettes. Vous savez, on a notre dignité. »

 

Mme Schénardi n’exclut pas pouvoir s’entendre à plus long terme avec des élus UMP, « mais davantage pour les municipales, sur des listes d’ouverture pour gagner telle ou telle mairie. » Pour Gaël Nofri, le schéma est d’ailleurs tout tracé : « Avec les résultats de cette élection présidentielle, nous avons monté une première marche. Lorsque nous aurons constitué un véritable groupe parlementaire en juin, le cadre établi permettra aux élus d’avoir un début d’emprise sur les municipalités et les conseils régionaux et généraux en 2014. L’arsenal sera ainsi totalement déployé en 2017 pour permettre à Marine Le Pen d’accéder au pouvoir. »

Publié dans UMP

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