Jusqu'au bout, l'Elysée aura couvert ses affaires avec Patrick Buisson

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

Jusqu’au bout, Nicolas Sarkozy aura couvert Patrick Buisson, son conseiller « Opinion ». Jusqu’aux derniers jours, pour mieux dissimuler ses propres turpitudes, l’Élysée se sera acharné à protéger cet ancien journaliste d’extrême droite reconverti dans les sondages, dont le contrat passé avec le Palais (entre juin 2007 et avril 2009 sans le moindre appel d’offres) a été jugé « exorbitant » et irrégulier par la Cour des comptes. Alors qu’unedécision de justice du 17 févriercontraint la présidence à faire la transparence sur tous les détails de ce marché (2,6 millions d’euros d’argent public sur la période incriminée), l’Élysée refuse obstinément de s’exécuter.

L’injonction du tribunal administratif de Paris était pourtant claire : elle donnait un mois à l’Élysée pour communiquer toutes ses archives « sondagières » (période 2007-2009) à Raymond Avrillier, militant écologiste grenoblois. Si la présidence a bien envoyé quatre cartons (voir nos trouvailles ici et ), elle fait de la rétention avec les pièces qui recèlent les secrets les plus inavouables : les bons de commandes passées par Patrick Buisson aux instituts de sondages (notamment OpinionWay), auxquels il sous-traitait l’exécution d’études, ensuite revendues à l’Élysée.

P. BuissonP. Buisson

Ces documents clefs permettraient aux Français de calculer la marge – a priori colossale – que le conseiller « Opinion » s’est mise dans la poche en jouant l’intermédiaire par le biais de sa société Publifact. Il suffirait en effet de comparer le prix d’achat versé par Patrick Buisson avec le prix de revente à Nicolas Sarkozy (déjà public). La « sur-facturation » sauterait ainsi aux yeux, pour reprendre le terme d'Alain Garrigou, professeur en sciences politiques et spécialiste des sondages.

Cet universitaire avait dénoncé fin 2009 l’énormité de la marge réalisée « sur le dos » du Président, déclarant dans un entretien àLibération « Soit (Buisson) est un escroc, soit c'est un petit soldat qui constitue un trésor de guerre pour payer des sondages durant la campagne électorale (de 2012) ». Illico, Patrick Buisson l’avait assigné en justice pour diffamation. Verdict ? Le tribunal arenvoyé le conseiller de l’Élysée à ses chères études – un nouveau procès devrait toutefois se rejouer après la présidentielle, Patrick Buisson ayant fait appel.

La convention passée entre P. Buisson et l'Elysée en juin 2007La convention passée entre P. Buisson et l'Elysée en juin 2007

 

Si la présidence daignait communiquer les bons de commande de Publifact, les Français auraient aussi le fin mot sur le second aspect du scandale : nous saurions enfin quelles commandes Patrick Buisson a précisément passées auprès de ses sous-traitants, OpinionWay en particulier. Car dès son rapport de 2009, la Cour des comptes pointait une “bizarrerie” : les résultats du Politoscope, baromètre d’OpinionWay payé rubis sur l’ongle par l’Élysée, se retrouvaient publiés dans Le Figaro et LCI. Une véritable “co-production”, synonyme de possibles manipulations. Choquée, la société des rédacteurs du Figaro avait exigé que sa direction mette« immédiatement un terme » à ces procédés.

Les magistrats financiers avaient noté que, outre le Politoscope, 15 autres études achetées par la présidence en 2008 « avaient également fait l’objet de publications dans la presse ».

Dans leur défense, les principaux acteurs ont longtemps cafouillé. Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Élysée, a d’abord assuré : « Si des journaux veulent acheter les mêmes (sondages que nous), on n’y peut rien ! » En clair : l’Élysée et les médias disposaient bien des mêmes sondages (mêmes questions, mêmes réponses). Cette position était intenable : elle signifiait qu’OpinionWay avait réussi l’exploit de vendre au conseiller « Opinion » de l’Élysée un produit destiné à publication !

Dans la foulée, l’institut avait donc ajusté le tir : dans un communiqué, il indiquait qu'il aurait en réalité fourni des« questions confidentielles » à la présidence, non communiquées aux médias. Faute de preuves, comment y croire ? D’autant que lors d’une audition à l’Assemblée nationale fin 2009, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy a finalement avancé une troisième explication : l’Élysée achetait les mêmes questions que les médias, mais avec des réponses beaucoup plus détaillées, triées par catégorie socio-professionnelle, âge, proximité partisane, etc.

Ci-dessous, les comptes bien fournis de la société de Patrick Buisson en 2008 :

 

 

 

Tant que les bons de commande de Patrick Buisson restent confidentiels, comment éclaircir ce mystère ? On comprend que l'Élysée et son “gourou” refusent aujourd'hui de les transmettre, malgré l’ordre du tribunal. Le seul argument avancé, dans un courrier à Raymond Avrillier en date du 28 mars ? « Je ne peux vous fournir ces documents qui ne sont pas en possession de la Présidence », écrit le directeur du service financier du Palais. Comprendre : ils sont propriété du seul intermédiaire, Patrick Buisson.

Relancé par Mediapart, un collaborateur du directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy répète : « Ce ne sont pas des documents de la présidence ! » C’est pourtant l’Élysée qui a profité de ces sondages, au final. C'est pourtant l’Élysée qui les a financés (indirectement).

Raymond Avrillier, ancien maire adjoint de GrenobleRaymond Avrillier, ancien maire adjoint de Grenoble

Cette manœuvre n’est pas la première, loin de là, visant à faire obstacle à la vérité. Fin 2009, l’Élysée avait déjà bloqué la création d’une commission d’enquête à l’Assemblée nationale, réclamée par les socialistes (lire notre chronique de ce bras-de-fer, ici ou ). Puis la plainte pour « favoritisme » déposée par l’association anti-corruption Anticor en février 2010, qui visait la directrice de cabinet de Nicolas Sakrozy ayant signé le contrat avec Patrick Buisson, avait été classée sans suite par le parquet de Paris, au motif discutable que l’irresponsabilité pénale dont jouit le chef de l’État « doit s’étendre aux actes effectués au nom de la présidence de la République par ses collaborateurs ». Pire : l’irresponsabilité est supposée s’étendre, par capillarité, jusqu’aux « co-contractants » de l’Élysée – Patrick Buisson en l’occurrence !

Après une nouvelle plainte avec constitution de partie civile déposée par Anticor, le juge Serge Tournaire avait enfin rendu une ordonnance favorable à l’ouverture d’une instruction, en mars 2011. Mais nouvelle déception, huit mois plus tard: le parquet enterrait l'affaire.

« Dans la perspective d'une défaite de Sarkozy, nous reprendrions notre action », tonne aujourd’hui l’avocat d’Anticor, Jérôme Karsenti, qui s’est depuis pourvu en cassation. Il ne manque pas de billes : fin 2009, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy avait lui-même reconnu « une anomalie dans le contrat » passé avec Patrick Buisson, lors d'une audition à l'Assemblée, avant de lancerun appel d'offres en bonne et due forme pour régulariser la situation du “Château”. Le contrat de 2007 de Patrick Buisson avait été cassé en deux en avril 2009 : un morceau pour Publifact, et un morceau récupéré par Publi-Opinion, une société gérée par… Georges Buisson, le fiston.

 

 

Raymond Avrillier, lui non plus, ne veut pas lâcher l'affaire. Ces derniers jours, il a non seulement demandé au juge administratif de faire appliquer pleinement le jugement du 17 février, afin de récupérer tous les documents Publifact. Mais il a réclamé, en sus, communication des sondages de l'Élysée pour les années 2010, 2011 et 2012. Surtout, il annonce à Mediapart que si François Hollande devient président, il dénoncera diverses « irrégularités »(favoritisme, détournement de fonds publics, financement illégal de campagne électorale…) devant « les autorités judiciaires compétentes ».

Publié dans Sondages

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