Jean Quatremer: «En France, l'affaire ne serait jamais sortie»

Publié le par DA Estérel 83

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Tout le monde savait, dit-on aujourd'hui: Dominique Strauss-Kahn a toujours eu un comportement de prédateur avec les femmes.

Jean Quatremer Correspondant de «Libération» à Bruxelles

 

Qu'il draguait avec insistance ou qu'il harcelait, selon les versions. Mais si le landerneau politico-médiatique français savait, pourquoi le sujet n'est-il presque jamais sorti? Psychodrame: dans la presse française, l'heure était hier au grand règlement de comptes. On s'interroge, on s'écharpe: que peut-on et doit-on publier sur le sujet?

Dans ce débat, il y a un acteur central: Jean Quatremer qui court depuis lundi d'interviews en plateaux de télévision. Car lui, dès 2007, a écrit ce que personne n'avait osé: «Le seul vrai problème de Strauss-Kahn est son rapport aux femmes. Trop pressant, il frôle souvent le harcèlement.» Correspondant de Libération à Bruxelles, le journaliste français dit avoir honte de son pays.

En 2007 déjà, vous écriviez que Strauss-Kahn «frôle le harcèlement». Vous étiez bien seul...
Oui, et aujourd'hui on me propulse expert mondial en matière de dérapages sexuels... C'est lamentable. Où entend-on les journalistes qui connaissaient les dérives de DSK? Où lit-on leurs enquêtes? Où sont les témoignages des femmes victimes de ses propositions inappropriées? Nulle part. Ma soudaine «gloire» souligne les manquements de la presse française. D'abord Mazarine, la fille cachée de Mitterrand. Puis le silence sur la séparation de Ségolène Royal et François Hollande. Et maintenant DSK. Pour la 3e fois, la presse française est prise en flagrant délit de complicité avec le monde politique.

Mais si un politique est un dragueur invétéré, pourquoi l'étalerait-on sur la place publique?
Il ne s'agit pas ici de parler de coucheries entre adultes consentants mais de possibles délits! En 2007, M. Strauss-Kahn est accusé de tentative de viol. Et personne n'a enquêté. C'est affolant! Cette année-là, lorsque j'écris qu'il frôle le harcèlement, j'avais évidemment assisté à des scènes et recueilli des témoignages. Ensuite, j'en ai reçu d'autres. Des dérapages au sein du Parti socialiste. Des étudiantes à Sciences-po qui savaient toutes qu'il ne fallait pas se retrouver seule dans une pièce avec DSK.

Que s'est-il passé lorsque vous aviez dénoncé le rapport problématique qu'entretiendrait DSK avec les femmes?
Son conseiller m'a prié de retirer le texte d'Internet. Je n'ai évidemment pas accepté. Mais le problème c'est qu'il ne s'est rien passé. Strauss-Kahn a-t-il déposé une plainte, parlé de diffamation? Non. D'autres journalistes ont-ils enquêté? Non plus. L'omerta. On parle pourtant de quelqu'un qui traite les femmes - la moitié de la population! - avec mépris.

Mais s'il y a de nombreux cas de harcèlement sexuel, pourquoi n'existe-t-il aucune plainte?
Il est déjà difficile de porter plainte pour viol, alors imaginez pour harcèlement sexuel, un délit difficile à prouver. En France, si la victime a le malheur d'être laide, on rigole! On le voit aujourd'hui, les Anglo-Saxons ne plaisantent pas avec le sujet. En France, ce qui me fait honte, c'est justement qu'on en plaisante, c'est la bagatelle. Jack Lang a osé dire que dans l'affaire DSK, il n'y avait «pas mort d'homme». Mais il y a peut-être tentative de viol! C'est effarant.

La victime présumée, dites-vous d'ailleurs, est oubliée.
C'est incroyable... «Je pense à l'homme», a osé Ségolène Royal plaignant Dominique Strauss-Kahn. Eh bien moi, je pense à la femme! Mais là aussi, où sont les articles et enquêtes sur la victime supposée? Il y en a peu, elle est réduite à un objet.

DSK est présumé innocent. Mais si la tentative de viol était avérée et que l'agression avait eu lieu en France, que se serait-il passé?
Rien. J'ai la quasi-certitude que l'affaire ne serait jamais sortie.

Publié dans Affaires

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