Hippodrome de Compiègne : le document qui peut tout changer

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

C’est donc un modeste syndicat de fonctionnaires de l'Office national des forêts (ONF) qui vient de se charger desaisir le tribunal administratif de Parispour forcer Bercy à annuler la vente controversée, en 2010, de l'Hippodrome de Compiègne (Oise), au motif qu’elle serait entachée de plusieurs motifs de nullité.

Le Snupfen (Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel) s’oppose de longue date au morcellement des forêts, et défend le patrimoine national avec les moyens qui sont les siens; il a notamment pour objet « la gestion rationnelle et la conservation du patrimoine forestier et de l’espace naturel ».

Eric WoerthEric Woerth© DR

Tout naturellement, le secrétaire-général du syndicat, Philippe Berger, a confié aux avocats parisiens Edmond-Claude Fréty et Frédéric Mengès le soin de faire revenir dans le giron de l’Etat les terrains forestiers et l’hippodrome de Compiègne cédés par Eric Woerth.

Rédigée le 17 août par Mes Fréty et Mengès, la requête en excès de pouvoir du Snupfen a été enregistrée le 22 août au tribunal administratif de Paris, qui est la juridiction compétente pour juger les décisions de l'Etat. Mediapart en publie aujourd’hui l’essentiel (on peut la lire ici).

Les avocats du syndicat rappellent d’abord que l’hippodrome de Compiègne est construit sur une forêt domaniale. « D’une superficie de 14.417 hectares », la forêt de Compiègne « constitue un des grands massifs forestiers de France et la troisième forêt domaniale de France métropolitaine par sa taille », écrivent-ils. Plusieurs rois de France ont aimé y chasser. « François 1er est le premier à la faire aménager en traçant 8 routes. Louis XIV fait tracer le grand octogone et 54 routes, Louis XV et Louis XVI en feront percer d’autres, jusqu’à 200 ».

Cette forêt est chargée d’histoire : le château de Compiègne et celui de Pierrefonds s’y trouvent, et l’armistice du 11 novembre 1918 y a été signé, dans la clairière de Rethondes.

Comptant aujourd’hui 5.600 espèces végétales et 6.600 espèces animales, la forêt de Compiègne abrite des arbres remarquables, dont un chêne vieux de 800 ans.

Or ce sont trois sections cadastrales de cette forêt (n° 1027, 1214  et 1520) qu’Eric Woerth a décidé de céder à la Société des courses de Compiègne, locataire de l’hippodrome. Une vente plusieurs fois sollicitée par cette influente association, mais qui avait toujours été refusée jusqu’ici par l’Etat, le domaine forestier national étant inaliénable depuis l’ordonnance de Moulins de 1566...

Sur le fond, le Snupfen soutient que « l’arrêté du 16 mars 2010, ainsi que l’acte de vente en découlant sont irréguliers en ce qu’ils ont notamment été pris en violation des dispositions constitutionnelles, légales et réglementaires en vigueur ».

Un prix « dérisoire et manifestement erroné »

Les arguments juridiques d’Edmond-Claude Fréty et Frédéric Mengès sont les suivants. D’abord, ils soulignent que les auteurs de la décision de vendre n’avaient pas compétence à agir. « Les bois et les forêts de l’Etat sont considérés comme représentatifs d’un patrimoine de haute valeur » et, sauf exception, sont inaliénables, écrivent-ils dans leur requête. A la rigueur, il aurait fallu une loi pour pouvoir les céder. En outre, les différents signataires de l’acte de vente litigieux n’étaient pas habilités à le faire, soutiennent les avocats du Snupfen.

Parmi les « vices de procédure » qui « entachent » les actes litigieux, les avocats soulèvent aussi l’absence de déclassement  des forêts cédées, ainsi que l’inexistence d’autorisation préalable à la vente. Ils rappellent que le ministre de l’agriculture s’était déjà formellement opposé à une demande de cession en août 2003, et que l’Office national des forêts avait fait connaitre son opposition à la vente le 22 juillet 2010.

Eric et Florence WoerthEric et Florence Woerth

Autre irrégularité : la vente des terrains forestiers s‘est faite « de gré à gré », alors qu’elle aurait dû l’être « avec publicité et mise en concurrence » (si elle avait préalablement été autorisée). C’est justement le principe de la mise en concurrence, rappellent les avocats du Snupfen, qui permet « que les intérêts de l’Etat soient préservés au mieux ».

En effet, « d’autres sociétés ou associations auraient naturellement pu se porter acquéreur, au premier nombre desquelles l‘association sportive Golf de Compiègne, qui occupe et utilise une partie de la forêt cédée depuis plusieurs dizaines d’années et se serait ainsi évitée le contentieux aux fins d’expulsion postérieur à la cession initiée par le cessionnaire, pour au contraire se maintenir ».

Ils poursuivent en pointant que « la procédure suivie a également été viciée dans la mesure où la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites aurait dû être consultée préalablement à la vente ». De même, « le droit de priorité » du Conseil d’agglomération de la région de Compiègne n’a pas non plus été respecté, écrivent les avocats.

Pour finir, ils soulèvent encore « l’insuffisance de motivation » de la décision d’Eric Woerth, la « violation du principe d’inviolabilité du domaine public »,  la « violation du principe d’égalité et d’interdiction des libéralités », et « l’erreur manifeste d’appréciation quant au prix de cession ».

Sur ce dernier point, qui a fait l’objet d’une expertise fouillée remise à la Cour de justice de la République - et que Mediapart a révélée en janvier 2012 -, les avocats du Snupfen écrivent que « les parcelles de la forêt de Compiègne en cause ont été cédées au prix de 2,5 millions. Un tel prix est à l’évidence dérisoire, en tout état de cause, il est manifestement erroné », écrivent-ils, discutant notamment, le bien fondé de l’abattement retenu par les trois experts de la CJR, qui ramène la valeur des terrains cédés de 13 millions d’euros à 8,3 millions.

« Il apparaît clairement que l'autorité administrative n'a pas utilisé ses pouvoirs dans le but de sauvegarder l'intérêt général », concluent les avocats. « Puisque l'administration a mis en oeuvre une procédure illégale afin d'éviter les contraintes de la procédure classique, le détournement de procédure est caractérisé ».

Deux enquêtes judiciaires sont en cours

En conclusion, Mes Fréty et Mengès estiment que cette affaire constitue un « détournement de pouvoir » et « une fraude », qui permettent d’annuler la vente et « d’enjoindre  l’Etat » de « procéder à la résolution de la vente de l’hippodrome de Compiègne ». Il reviendra aux juges du tribunal administratif de Paris de trancher.

Cette nouvelle offensive du Snupfen survient après la curieuse réponse faite par Jérôme Cahuzac au recours gracieux que le syndicat avait adressé au ministère du budget le 19 avril (on peut le lire ici): au lieu d’enclencher une annulation de la cession dess terrains, le successeur d’Eric Woerth avait botté en touche, en sollicitant un professeur de droit, Philippe Terneyre, pour une consultation. C’est peu dire que les conclusions de cette rapide étude juridique, selon lesquelles l'opération était licite, ont surpris les spécialistes du dossier.

Jérôme CahuzacJérôme Cahuzac

L'affaire de l'hippodrome de Compiègne fait, parallèlement, l'objet de deux instructions judiciaires. La première, ouverte pour « prise illégale d'intérêt » par la Cour de justice de la République (CJR) depuis janvier 2011, s'intéresse spécifiquement au rôle du ministre Eric Woerth.

Soupçonné d’avoir fait une fleur à Philippe Marini, le sénateur-maire (UMP) de la ville voisine de Compiègne, Eric Woerth, actuel député-maire (UMP) de Chantilly (Oise), est placé sous le statut de témoin assisté, et pourrait prochainement être mis en examen par la CJR.

Le second dossier, instruit au pôle financier de Paris après un dépaysement survenu en janvier 2011, vise le volet non-ministériel de l'affaire, et menace plusieurs hauts fonctionnaires et des personnalités de l'Oise. Confiée aux juges d’instruction René Grouman et Roger Le Loire, cette instruction n’a, pour l’instant, débouché sur aucune mise en examen.

Publié dans Affaires

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