Harcèlement, accouchement sous X, Médiator : la constitutionnalité soulevée

Publié le par DA Estérel 83

MondeSociete.png

 

 

Le Conseil constitutionnel a décidé d'abroger vendredi 4 mai l'article du code pénal sur le harcèlement sexuel, jugé trop flou.

 

Textes de loi sur le harcèlement sexuel et moral, sur l'accouchement sous X,procès du médicament Médiator : en l'espace d'une semaine, des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été soulevées pour chacun de ces sujets, retardant voire annulant l'application de lois ou la poursuite d'affaires judiciaires en cours.

C'est en raison de ce dispositif que la loi sur le harcèlement sexuel a été abrogée, le 4 mai. Et que toute procédure pour harcèlement moral est désormais suspendue. Le procès Médiator, qui ouvre lundi 14 mai à Nanterre, pourrait lui aussi être reporté du fait de deux questions prioritaires de constitutionnalité.

Dans un cas comme dans l'autre, ce sont des prévenus - le député Gérard Ducray, condamné pour harcèlement sexuel, et les laboratoires Servier, accusés dans l'affaire Médiator - qui ont posé ces questions de constitutionnalité, entraînant l'abrogation d'une loi et le possible report d'un procès.

Depuis mars 2010, les QPC - ce droit, pour tout justiciable, de soutenir qu'unedisposition législative n'est pas constitutionnelle - seraient-elles utilisées à mauvais escient pour bloquer l'avancée des procès ou des nouvelles lois ?

LA CONSTITUTIONNALITÉ D'ABORD

"Pas plus que pour tout autre comportement en justice", rassure Gilles Thouvenin, président de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, les deux instances saisies - ou leurs juridictions - en cas de QPC"Il est sûr que le prévenu peut gagner dans ce cas, mais c'est le jeu de la justice. Le droit est fait pour ça", explique-t-il.

Quant aux récents cas de questions prioritaires de constitutionnalité, le président de l'Ordre relativise. Depuis la création du dispositif, l'augmentation du nombre de QPC "est constante" : 207 décisions par le Conseil constitutionnel à ce jour, dont 33 depuis le début de l'année.

"Le rythme reste extrêmement soutenu depuis l'entrée en vigueur, le 1er mars 2010", précise Emmanuel Piwnica, avocat associé et ancien président de l'Ordre. Rien de surprenant, donc, à voir des sujets de société tels que le harcèlement sexuel et moral faire l'objet de questions de constitutionnalité.

Pour Emmanuel Piwnica, "on ne peut que se réjouir qu'une loi non constitutionnelle soit abrogée" après une QPC. L'avocat est convaincu que le harcèlement sexuel était une infraction imprécise. Et si les procédures sont désormais suspendues, faute de base légale, "le retard ne sera pas abominable" :"est-ce qu'il n'est pas préférable de poser une QPC, et, s'il y a une vraie illégalité,de la traiter tout de suite ?"

UN DROIT À LA DÉFENSE

A l'instar de Gérard Ducray pour le harcèlement sexuel, les questions prioritaires de constitutionnalité sont une marge de manœuvre pour les personnes prévenues. N'y a-t-il pas risque d'abus ? "C'est l'exercice habituel du droit", réagit Emmanuel Piwnica.

"Pourquoi lui reprocher d'exercer un droit qui lui est accordé par la loi ?" "Certes, il n'est plus pénalement répréhensible, mais il est devenu moralement discutable",ajoute-t-il. La condamnation qui a pesé sur l'ancien député du Rhône est désormais connue du grand public. Mais ce dernier est aujourd'hui blanchi, et sa condamnation annulée.

Les questions prioritaires de constitutionnalité deviennent donc un recours supplémentaire pour les prévenus. Potentiellement risqué ? "Utiliser cette voie de recours fait partie des moyens de défense, cela donne de nouveaux droits aux justiciables", reconnaît Marthe Stéfanini, directrice de recherche au CNRS, spécialisée en droit constitutionnel approfondi.

Si le dispositif des QPC "peut faire retarder les procès, si cela peut les médiatiser, il est certain qu'il sera utilisé"Mais, relativise l'enseignante, "grâce à cela, on s'est aperçu qu'il y avait des failles dans notre système législatif. Que certaines lois n'étaient pas assez précises".

 FILTRAGE "BIEN OPÉRÉ"

Marthe Stéfanini se veut rassurante quant aux risques de report des procès. Si une question de constitutionnalité n'est posée qu'à des fins dilatoires, les instances chargées d'en juger - Conseil d'Etat ou Cour de Cassation - bloqueront rapidement la procédure. "Le filtrage est très bien opéré", analyse-t-elle.

Ainsi, sur l'une des questions de constitutionnalité posées par l'avocat des laboratoires Servier dans le procès du Médiator - le délai de prescription en matière de "tromperie" - Marthe Stéfanini juge que "cela peut valoir le coup deposer la question au Conseil constitutionnel".

"Les QPC sont examinées assez rapidement, les juridictions les examinent en priorité", confirme Shirley Leturcqavocate en droit public au barreau de Marseille."Si la manœuvre est dilatoire, manifestement irrecevable, cela se saura rapidement", assure-t-elle.

En mai 2011, la Cour de cassation a ainsi rejeté la "QPC Chirac", une question posée par l'avocat d'un co-prévenu de Jacques Chirac, et qui avait causé la suspension du procès des emplois fictifs de la mairie de Paris.

Shirley Leturcq affirme que l'abrogation de la loi sur le harcèlement sexuel était nécessaire, du fait d'une définition imprécise, voire "inexistante""Il faut mettre le législateur face à ses responsabilités. La Constitution garantit les droits des individus, y compris lorsqu'il s'agit de prévenus !"

Valentine Pasquesoone

Qu'est-ce qu'une "question prioritaire de constitutionnalité"?

 

La question prioritaire de constitutionnalité fait référence à l'article 61-1 de la Constitution, créé par la révision constitutionnelle du 23 février 2008 : "Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation." Ainsi, depuis le 1er mars 2010, toute personne engagée dans une instance judiciaire peut soulever une QPC sur une disposition législative - tout texte voté par le Parlement -, si trois conditions sont réunies : la disposition contestée constitue le fondement des poursuites, ou s'applique dans la procédure ou litige en cours ; la QPC posée est jugée "nouvelle" et "sérieuse" ; la conformité de la disposition législative à la Constitution n'a pas encore été décidée par le Conseil constitutionnel. Les questions prioritaires de constitutionnalité ne peuvent être posées que devant une juridiction relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, sauf devant la Cour d'assises. La juridiction saisie examine si la QPC soulevée est recevable, avant de la transmettre au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Ce sont ces instances qui décident, dans un délai de trois mois, de saisir le Conseil constitutionnel. Ce dernier a lui aussi trois mois pour se prononcer. S'il juge la disposition législative contraire à la Constitution, celle-ci est abrogée.

Publié dans Justice

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article