Cazeneuve : «Réorienter durablement l'Europe»

Publié le par DA Estérel 83

01-Mediapart

 

 

À l'Élysée, on dit Bernard Cazeneuve« très impliqué » dans la ratification du traité budgétaire qui sera soumis aux parlementaires à l'automne. Soit par un vote classique, soit sur convocation du congrès à Versailles : tout dépend de la décision du Conseil constitutionnel attendue mi-août. Les Sages diront si la France doit en passer par une révision de la Constitution pour adopter le traité négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, et que François Hollande n'est parvenu qu'à compléter avec un pacte de croissance de 120 milliards d'euros. En attendant, Bernard Cazeneuve, ministre délégué aux affaires européennes et tenant du “non” en 2005, reçoit les parlementaires pour les convaincre d'adopter un texte très critiqué à la gauche du PS. Entretien.

 

Bernard Cazeneuve.Bernard Cazeneuve.© Reuters
Le président de la Banque centrale européenne (BCE) est parvenu la semaine dernière à calmer les bourses en promettant de tout faire pour sauver l’euro. Comment réagissez-vous auxannonces très mitigées présentées jeudi 2 août par Mario Draghi, qui ont beaucoup déçu les marchés ?

 

Le président de la BCE a porté des messages importants et qui vont tous dans la même direction : la préservation de l’intégrité de la zone euro. Comme vous le savez, la France poursuit le même objectif. La BCE a décidé de maintenir les taux d’intérêt directeurs à un niveau très bas, tout en conservant une marge de manœuvre pour les abaisser encore, si cela s’avère nécessaire. Cette décision permet de maintenir des conditions d’octroi de crédit favorables dans la zone euro.

Concernant le soutien à la zone euro, comme il y a une semaine, la BCE a rappelé son attachement à la préservation de l’euro, acquis jugé « irréversible » par Mario Draghi, qui a par ailleurs clairement affirmé que toute spéculation sur la fin de l’euro était « inutile ». À cet égard, la réaction des marchés peut paraître pour le moins surprenante. Je note également que la BCE a dénoncé le caractère « inacceptable » des taux observés sur les marchés de la dette de certains pays et indiqué qu’elle envisage la réactivation de son programme de rachat de dette sur les marchés, lorsqu’elle le jugera nécessaire. Enfin, la BCE a rappelé que les États membres de la zone euro devraient se tenir prêts à utiliser le FESF (Fonds européen de stabilité financière – ndlr) et le MES (mécanisme européen de stabilité – ndlr) dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons actuellement.

Mario Draghi le 2 août à Francfort.

Plusieurs responsables politiques allemands s’en sont pris vertement à Mario Draghi et mettent la chancelière sous pression. La France explique depuis plusieurs semaines qu’il ne faut pas surestimer les désaccords franco-allemands sur l’avenir de la zone euro. Les divergences se sont-elles récemmentaccentuées ?

Il ne me revient pas de commenter les débats internes à l’Allemagne. Mais je note que le président de la République et la chancelière ont conjointement et très clairement réaffirmé, la semaine dernière, leur volonté de tout faire pour préserver la zone euro et pour mettre en œuvre rapidement les décisions du Conseil européen des 28 et 29 juin. S’il peut y avoir des discussions sur certaines modalités techniques, le but ultime est donc clair : nous devons préserver la zone euro. La France et l’Allemagne doivent travailler ensemble pour atteindre cet objectif. 

Mais toutes les propositions défendues par la France, les eurobonds ou même la licence bancaire pour le MES, semblent toujours des chiffons rouges pour le gouvernement allemand… Espérez-vous que les compromis trouvés jusqu'ici pourront tenir jusqu'à l'alternance que le PS espère à Berlin avec une victoire du SPD ?

Nous avons des convergences naturelles avec le SPD, comme avec l’ensemble des partis socialistes et progressistes de la zone euro. Mais l'urgence nous dicte de rechercher dès à présent des compromis avec l'Allemagne, car la relation franco-allemande est, quelles que soient les circonstances politiques, structurante pour l'Europe. Le sommet des 28 et 29 juin a permis de répondre à l’urgence de la crise, mais nous comptons adopter des mesures de long terme. C’est le sens du projet d’intégration solidaire développé par le président de la République à Bruxelles et c'est la raison pour laquelle nous contribuons à enrichir la réflexion sur l'avenir de l'Union européenne, conduite sous la responsabilité d'Herman van Rompuy.

Depuis le sommet de Bruxelles de la fin juin, la France est restée plutôt discrète publiquement sur les derniers remous de la zone euro, sur la Grèce ou même sur la menace pesant sur l’Espagne. Pourquoi ? Parce que vous avez le sentiment du devoir accompli après l’accord trouvé au conseil européen ? Ou parce que le débat est miné au vu des turbulences permanentes sur les marchés ?

La France n’est pas discrète, elle agit en cherchant d'abord l'efficacité. Les autorités françaises ne sont pas dans la posture ou le déclaratoire, elles sont quotidiennement dans l'action. Le 27 juillet, le président de la République et la chancelière allemande se sont exprimés pour la préservation de la zone euro. Le 31 juillet, le président de la République a encore rappelé, à l’issue d’un entretien avec le président du Conseil italien, Mario Monti, sa volonté « que la zone eurosoit défendue, préservée, consolidée et que nous puissions travailler à son intégrité ».

Mais surtout, la France donne la priorité à l’action, elle se mobilise et mobilise ses partenaires pour mettre en œuvre rapidement les décisions du conseil européen. Nous faisons avancer la taxe sur les transactions financières. Nous avons commencé les travaux d’identification des projets qui pourront bénéficier des 120 milliards d’euros du pacte pour la croissance et l’emploi. Concernant l’Espagne, l’Eurogroupe a décidé le 20 juillet de débloquer, au sein du FESF, 30 milliards d’euros mobilisables à tout moment en cas de besoin urgent du secteur bancaire espagnol, dans le cadre de l’aide européenne plafonnée à 100 milliards d'euros accordée en juin.

Nous n’avons bien entendu pas le sentiment du devoir accompli. Nous avons simplement le sentiment que les lignes ont bougé et qu’une nouvelle orientation a été engagée pour la construction européenne, plus favorable à la croissance et au règlement de la crise. Mais nous avons conscience que le conseil européen de juin est un point de départ et non un point d’arrivée.

 

Merkel et Hollande fin juin à Bruxelles.Merkel et Hollande fin juin à Bruxelles.© Reuters

 

On attend la décision du conseil constitutionnel pour la mi-août: s'il tranche pour une révision de la constitution pour ratifier le traité budgétaire, vous serez dans une posture délicate. Le Front de gauche votera contre, les écologistes peut-être aussi, certains députés de l'aile gauche du PS s'interrogent: comment comptez-vous éviter que se reproduise le clivage de 2005?

Nous ne sommes pas en 2005, la question est différente. Il s’agit de décider quelles politiques économiques, et plus particulièrement budgétaires, doivent être conduites au sein de la zone euro. Sur ce point, nous avons une approche radicalement différente de celle du gouvernement précédent, qui acceptait le traité budgétaire sans avoir, à côté, des mesures fortes en faveur de la croissance. Pour notre part nous ne pouvons accepter une politique fondée sur l’austérité à perte de vue.

Avec le pacte pour la croissance et l’emploi, avec les mesures adoptées pour la stabilité financière, avec le lancement d’une feuille de route sur l’avenir de l’Union économique et monétaire, avec l’engagement de lancer une taxe sur les transactions financières, le sommet de fin juin a engagé une réorientation de la construction européenne. Les débats et votes parlementaires doivent consolider et confirmer la première étape de cette réorientation pour pouvoir l'approfondir dans les mois qui viennent dans un contexte marqué par la crise et les défis qu'elle nous oppose chaque jour. Nous devons réussir à réorienter durablement l'Europe. Sur cette base, je ne doute pas que la majorité sera rassemblée.

François Hollande l'a dit à plusieurs reprises : il ne veut pas soumettre le traité européen à référendum. Après l'adoption en catimini du traité de Lisbonne, contre lequel plusieurs ministres du gouvernement, dont vous-même, s'étaient élevés, ne risquez-vous pas de reproduire la même chose en privant les électeurs d'un vaste débat public ? D'autant que depuis, la défiance à l'égard de l'UE n'a fait que croître…

Le président de la République a été clair depuis le départ, et avant même son élection, durant la campagne électorale, sur ce qu'il voulait et sur son intention de ne pas soumettre ce traité à référendum. Il a exposé aux Français sa volonté de réorienter la politique de l'Union en complétant le traité par des mesures de croissance, en parlant des project bonds, de la recapitalisation de la Banque européenne d'investissement (BEI), de la mobilisation des fonds structurels, de la mise en œuvre de la taxe sur les transactions financières.

En choisissant François Hollande comme président de la République, les Français se sont prononcés pour cette approche. Lors du conseil des 28-29 juin, nous avons obtenu des avancées importantes sur ces points. Les engagements du président de la République ont donc été tenus, la volonté exprimée par les Français respectée. Ce que nous avons obtenu n'est pas un solde de tout compte. D'autres étapes importantes doivent être franchies et le président de la République doit être soutenu pour pouvoir franchir les étapes ultérieures, parfois dans l'adversité.

 

Michel Sapin et Bernard CazeneuveMichel Sapin et Bernard Cazeneuve© Reuters

 

Enfin, pensez-vous, plus généralement, que l'on puisse continuer à demander de plus en plus de transferts de souveraineté sans rééquilibrage démocratique, par exemple en donnant un plus grand rôle au parlement européen ? C'est notamment l'objection que soulève sans cesse la cour constitutionnelle de Karlsruhe en Allemagne...

C'est, en effet, un point très important. Pour nous, le renforcement de l'Union politique doit se faire dans le respect de la souveraineté des parlements nationaux et selon des procédures démocratiques. C'est un point auquel nous sommes très attentifs et que nous ferons valoir avec force dans le cadre des réflexions sur l'avenir de l'Union et de l'euro. Nous ne voulons pas construire l’Europe sans les peuples. Quant au Parlement européen, qui a d'ores et déjà des pouvoirs très étendus, il doit être pleinement associé à la gouvernance économique de l'Union. Il ne s'agit pas d'opposer institutions nationales et européennes, il faut bâtir des procédures de décision qui fassent intervenir les unes et les autres dans le cadre d'un dialogue démocratique.

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