Alain Bauer, ami de Valls et Sarkozy : des efforts si mal récompensés

Publié le par DA Estérel 83

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Omniprésent pendant le quinquennat de Sarkozy, le criminologue Alain Bauer disparaît (provisoirement ?) de la sphère publique malgré sa proximité avec Valls.


Alain Bauer à Paris, le 16 janvier 2008 (BERTRAND GUAY/AFP)

L’omniprésent « Monsieur Sécurité » de Nicolas Sarkozy s’est pris une dernière claque. Désormais privé de toute fonctions officielles, le criminologue-polémiste-conseiller vient d’assister à la disparition de la section « criminologie » au Conseil national des universités (CNU). La reconnaissance officielle de cette discipline lui tenait à cœur.

« C’est une vraie victoire », commente l’ancien policier et chercheur Philippe Pichon, féroce opposant à Alain Bauer (il lui a consacré des pages acerbes dans un livre) :

« Je pense que le salut d’Alain Bauer ne viendra pas de Manuel Valls. Ce serait gênant pour lui de confier une mission officielle à l’ancien sherpa de Nicolas Sarkozy. Mais de toute façon, il a déjà rebondi dans le privé. »

« Un passage en force »

En mars, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Laurent Wauquiez, hissait officiellement la criminologie au rang des disciplines universitaires. Un arrêté du 6 août, publié au Journal officiel ce mardi, supprime cette mesure.

Elle avait soulevé l’indignation de nombreux chercheurs, qui y voyaient une récompense à Alain Bauer pour ses bons et loyaux services.

  • Le CNU réprouvait « un passage en force imposé par l’autorité politique, contre l’avis de la communauté scientifique ».
  • Le sociologue Laurent Mucchielli enrageait sur son blog :

« Dans le milieu universitaire et scientifique, personne n’est dupe à propos de ce noyautage politique et de cette manipulation de la référence à la “criminologie” par un tout petit groupe de personnes cherchant avant tout à favoriser leurs orientations idéologiques, leurs positions institutionnelles et leurs situations professionnelles.

Le décalage est véritablement énorme entre, d’une part, la notoriété et l’influence d’Alain Bauer et de ses alliés auprès du pouvoir politique actuel et d’une bonne partie des journalistes et, d’autre part, la quasi unanimité que son entreprise de légitimation intellectuelle a fait contre elle dans le milieu universitaire où ils cherchent aussi à s’imposer. »

Le débat théorique concerne l’existence ou non de la « criminologie » comme discipline scientifique autonome. Pour Alain Bauer, la question ne prête même pas à débat :

« Aucun chercheur en criminologie ne s’opposait à cette création. Les critiques viennent de l’extérieur, des autres, comme à chaque fois qu’une nouvelle discipline apparaît.

Ça s’est produit pour les langues orientales, la démographie, les sciences politiques... Même le droit pénal ! C’est la force d’inertie de l’université française. Depuis cinquante ans, la criminologie est enseignée partout dans le monde. »

Mais l’affaire prend aussi un tour personnel, tant la personne d’Alain Bauer polarise le débat. C’est la guerre entre « la bande à Bauer » (dénoncée par le sociologue Mathieu Rigouste dans un essai) et les « anti-Bauer » (des chercheurs indignés par son ascension, qu’ils estiment déterminée par ses amitiés politiques).

Ami de Sarkozy et de Valls

L’avenir d’Alain Bauer dans la sphère publique s’annonce incertain. Ces cinq dernières années, son nom a été largement associé à celui de Nicolas Sarkozy, qui lui a confié plusieurs charges publiques :

  • professeur de criminologie appliquée au Conservatoire national des arts et métiers (2009) ;
  • personnalité qualifiée au Conseil national de la vidéosurveillance (2007) ;
  • administrateur de l’Institut national des hautes études de sécurité (2008) ;
  • administrateur de l’Institut national des hautes études de défense nationale (2010) ;
  • officier de la Légion d’honneur (2010) ;
  • etc.

Tout en répétant qu’il restait libre, ici dans Marianne :

« Je suis un ami de Nicolas Sarkozy et j’assume parfaitement cette situation. Je ne suis pas un militant de l’UMP. [...] J’ai fourni des idées depuis trente ans, d’abord à Michel Rocard, puis à de nombreux responsables qui n’avaient pour point commun que d’être républicains, et j’en suis fier. »

Ancien rocardien, le consultant en sécurité devenu spécialiste ès terrorisme-délinquance-criminalité-immigration-« nouvelles menaces » a passé un quinquennat fructueux.

Au moment de l’élection de François Hollande, il prend le large. Alain Bauer démissionne de ses trois dernières présidences officielles :

  • l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales ;
  • le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique ;
  • la Commission de contrôle des fichiers de police.

Alain Bauer y avait côtoyé Jean-Marc Leclerc, journaliste au Figaro, membre de la même commission et fervent supporter, qui écrivait en mai :

« Le professeur Bauer, toujours titulaire de sa chaire au Cnam, demeure l’un des rares experts français de niveau international sur les questions de sécurité. Il n’a rien perdu de son influence, y compris et surtout dans les rangs de la gauche dont il est issu. »

Le criminologue désormais en disgrâce est pourtant très proche du nouveau ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. C’est le parrain de son deuxième fils. Mais si l’on pouvait s’attendre à recroiser Alain Bauer dans les couloirs de quelque institution publique, rien ne semble pointer à l’horizon.

Petites attentions

Interrogé sur la suppression de la section criminologie, Alain Bauer a l’air serein :

« Je suis flatté de tant d’attention mais je ne suis pas à plaindre. Mon poste de professeur de criminologie au Cnam continue d’exister, aucun recours n’a été déposé contre ça.

Par contre, une centaine de professeurs de criminologie en France enseignent clandestinement. »

Depuis le mois de mai, Alain Bauer a donc repris ses multiples activités de consultant et conserve la présidence du Conseil national des activités de sécurité privée (puisqu’il a été élu à sa tête et non nommé).

Il continue à publier des tribunes et répondre à des interviews au gré de l’actualité, agrémentées de gentillesses à l’égard du ministre de l’Intérieur actuel :

« Comme élu local de terrain, il a su faire passer un message très pragmatique. [...] La popularité de Manuel Valls, que l’on ressent depuis sa prise de fonction, n’est pas un hasard. » (Atlantico, 28 juin)

« Il est le gardien de la paix publique ; il doit donc tout couvrir : dissuasion, prévention, sanction. Après, chacun a sa patte personnelle. Il a, à mon sens, placé, dans ses dernières déclarations, son action sous le signe de l’équilibre. » (Le Républicain Lorrain, 3 juillet)

« L’ébauche des Zones de sécurité prioritaires voulues par l’actuel ministre de l’Intérieur Manuel Valls pourrait peut-être permettre de passer du commandement pyramidal depuis Paris à une forme de décentralisation efficace. » (Huffington Post, 16 août)

Autant d’amabilités qui n’auront pas suffi à sauver sa petite entreprise publique de criminologie.

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