Affaire DSK: «victime présumée», une notion nouvelle

Publié le par DA Estérel 83

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L'affaire DSK, en plus de mettre en lumière les différences entre les système juridique américain et français, aura fait apparaître la notion de « victime présumée ». Comme l'explique Jules du blog Diner's Room, il ne s'agit en effet que de présomptions quant à la culpabilité de Strauss-Kahn, et à la qualité de victime de la plaignante, Nafissatou Diallo.


(capture d'écran Dailymotion - BFMTV - cc)
(capture d'écran Dailymotion - BFMTV - cc)
Dans ce monde où la corruption des valeurs morales étend chaque jour davantage son empire, la mesure est un art difficile et l’équilibre une grâce impossible.

Irène Théry publiait lundi dans Le Monde une réflexion autour de l’affaire Strauss-Kahn et des réactions qu’elle a suscitées dans le débat public national. Elle y suggère que la parole de ceux qui se disent victimes d’infractions sexuelles soit juridiquement sanctuarisée par une présomption de véracité.

    « Car de l’autre côté, il y a ceux – au départ plus souvent des femmes, féministes et engagées – qui s’efforcent de porter au plus haut des valeurs démocratiques une forme nouvelle de respect de la personne, qui n’a pas encore vraiment de nom dans le vocabulaire juridique, et qu’on pourrait appeler son droit à la présomption de véracité. C’est la présomption selon laquelle la personne qui se déclare victime d’un viol ou d’une atteinte sexuelle est supposée ne pas mentir jusqu’à preuve du contraire. (…) Mais sommes-nous prêts, dans la culture politique française, à considérer la présomption de véracité comme un véritable droit ? »

Je nourris un grand respect pour Irène Théry, qui ne méconnaît pas les complexité et les subtilités du droit ; elle ne parle donc pas à la légère. Je dois cependant à la vérité de constater que son propos tend ici à obscurcir le débat public plus qu’à l’éclairer.

Dans la matière juridique, où s’inscrit le propos d’Irène Théry, le principe de la présomption d’innocence s’impose, qui veut qu’une personne suspectée, prévenue ou accusée n’est coupable que si elle a été jugée comme telle par une décision de justice devenue définitive. De la même façon, un plaignant ne peut être reconnu comme victime que lorsque son dommage a été constaté par une décision de justice. Autrement dit, dans l’état actuel des choses, Dominique Strauss-Kahn n’est pas plus coupable d’un viol que la plaignante n’en a été victime.
Tout vient d’une triste confusion de vocabulaire sur la notion de présomption. Un usage vulgaire et malheureusement répandu en fait une sorte de conjecture, c’est à dire, quelque chose qui se promène entre le vrai et le faux, sans être tout à fait l’un ou l’autre. Rien n’est plus étranger au droit, auquel on permettra d’imposer une certaine rigueur terminologique ; tout au moins dans son domaine de compétence.

Qu’est-ce qu’une présomption ?

En droit, les présomptions sont, aux termes de l’article 1349 du code civil « les conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu« . Autrement dit, une preuve par déduction. Par exemple, déduire un lien de sang de l’examen des caractéristiques génétiques de deux personnes est une présomption. Par exemple, déduire comme le fait l’article 312 du Code civil, que l’enfant né ou conçu dans le mariage a pour père le mari, est une présomption.

Il arrive encore que la loi « présume » certains faits, c’est à dire qu’elle les suppose établisjusqu’à la preuve du contraire. Il en va ainsi de l’innocence d’une personne en matière pénale, qui est donc, comme le rappelle Eolas, une règle de preuve en matière pénale : cette règle suppose qu’il appartient au ministère public de démontrer au juge la culpabilité du prévenu à l’aide de toutes les preuves qu’il peut soumettre aux lumières de sa conscience. Faute de quoi, la culpabilité n’est pas démontrée et l’accusé demeure donc, innocent. Dans le jargon, la présomption d’innocence conduit à faire peser la charge de la preuve2 sur le ministère public.

Qu’en est-il des déclarations de la plaignante ?

Eh bien il s’agit d’une plainte, précisément. C’est à dire de la dénonciation d’une infraction dont on prétend avoir été victime. En matière pénale, les déclarations du plaignant peuvent constituer des éléments de preuve, mais elles sont librement appréciées par le juge. Poser une présomption de véracité, telle que la demande Irène Théry, obligerait le juge à se fonder sur ces déclarations. Elle conduirait par conséquent le prévenu — ou l’accusé — à devoir prouver l’inexactitude des faits qui lui sont reprochés. Autrement dit, il s’agirait d’un anéantissement de la présomption d’innocence, contrairement au vœu exprimé par Irène Théry.

On l’entrevoit bien : présomption d’innocence et présomption de véracité sont aussi cruciales l’une que l’autre pour bâtir une justice des crimes et délits sexuels marchant sur ses deux pieds. Mais pour le moment, nous ne les distinguons pas clairement et savons encore moins comment les faire tenir ensemble.

On ne peut les faire tenir ensemble pour une bonne raison : elles sont incompatibles. Dans le procès, la présomption doit jouer pour l’un ou l’autre. Il n’y a pas d’équilibre possible en la matière. Admettre la présomption de véracité des déclarations du plaignant, c’est supposer pré-établie la culpabilité du prévenu3. Admettre la présomption d’innocence, c’est refuser de présumer vraies les déclarations du plaignant4

Mais alors, pourquoi proposer une telle incongruité ?

La première raison, on l’a vu, tient à une méprise sur le terme de « présomption ». La seconde renvoie à une confusion entre l’innocence en matière pénale et le déshonneur de la culpabilité sur la place publique5. Confusion, il faut le dire, savamment ciselée par le législateur. Le droit de la presse, en effet, protège l’honneur et la considération des personnes par la sanction des propos diffamatoires. Au titre de l’honneur, la virginité pénale ; en droit, l’innocence. Le fait d’être présenté comme coupable6 constitue ainsi une atteinte à l’honneur, et cette atteinte est punissable si elle ne repose pas sur la vérité des faits.

Le législateur estime ainsi que présenter une personne comme coupable des faits qui n’ont pas reçus de jugement peut influencer le destin de la procédure, d’une part, et celui de la réputation de la personne mise en cause, d’autre part. D’où la loi n°2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, qui ajoute un article 9.1 au Code civil interdisant de présenter une personne comme coupable avant qu’un jugement définitif n’ait été rendu. La présomption d’innocence, donc, se trouve invoquée tout autant par la procédure pénale, qui en fait une règle de preuve, que par le droit de la presse, qui en fait un élément de la réputation d’une personne.

Cela ne suppose pas, pour autant, de suspecter la fausseté des déclarations d’un plaignant ou de donner crédit nécessaire à celles de la défense. Non plus, d’ailleurs, que de professer l’innocence d’un accusé ou la mauvaise foi du plaignant. Mieux encore, dire que l’accusé est innocent — ce qui est juridiquement exact — n’a pas pour conséquence que l’on tient le plaignant pour un menteur.

D’ailleurs, à y regarder de plus près, ce dernier bénéficie bel et bien d’une présomption qui protège ses paroles. En effet, la loi française punit la dénonciation de faits pénalement réprimés lorsqu’on les sait faux : c’est une dénonciation calomnieuse. Or, une procédure de dénonciation calomnieuse est suspendue au résultat de l’instance principale, qui doit déterminer si la personne dénoncée est — ou non — coupable. Il s’ensuit que le dénonciateur bénéficie d’une sorte de présomption de véracité, limitée au procès en dénonciation calomnieuse, et qui impose au ministère public ou au plaignant de démontrer, par exemple, que le dénonciateur a menti. Cette présomption de véracité n’est ni plus ni moins que la présomption d’innocence, appliquée à une instance ou le plaignant se trouverait lui-même mis en cause en raison des faits qu’il a dénoncés.

Les situations, cependant, ne sont pas symétriques. Celui qui bénéficie de la présomption d’innocence est la personne qui se trouve prévenue — ou accusée — d’une infraction. Le plaignant, fort normalement, ne profite pas des mêmes garanties. Il faut dire qu’il ne court pas les mêmes risques. Il serait bon qu’on ne l’oublie point lorsque l’on invoque, de façon un peu légère, le respect dû aux droits des différents protagonistes.

Là ne s’arrête pas, cependant, le problème. car ce qui justifie, in fine, la reconnaissance d’une présomption de véracité est la « spécificité des questions sexuelles« .

Pour construire un jour une façon de tenir ensemble les deux présomptions opposées, le premier pas est d’accepter de penser la spécificité des questions sexuelles.

Le crime sexuel est assurément un puits dans lequel se noient facilement les meilleurs esprits. Le meilleur indice en est généralement l’exigence d’un traitement spécifique. Car le fait est que dans un système juridique où l’on s’efforce d’assurer aux personnes mises en cause des garanties de procédure, toute invocation de spécificité joue nécessairement contre les droits de la défense. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les règles relatives au terrorisme, aux affaires de stupéfiants, mais également — et plus récemment — de violences sexuelles sur mineurs. Toutes vont dans le même sens : la limitation des garanties de la personne mise en cause.

Il en va de même dans l’hypothèse présente. Quoi qu’Irène Théry s’en défende, la reconnaissance d’une « présomption de véracité » au bénéfice du plaignant dans les affaires sexuelles conduit inévitablement à faire peser la charge de la preuve de son innocence sur la personne mise en cause. Ce qu’il est permis de trouver glaçant. D’autant plus glaçant que la proposition se trouve enserrée par un discours d’une modération exemplaire et d’une troublante sérénité.

 

Publié dans Justice

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R
<br /> Analyse extrêmement intéressante. Un rappel, si besoin est,que rien n'est simple en matière de justice. Nos procédures judiciaires actuelles me semblent asez équilibrées en ce qui concerne la<br /> défense des droits de la "victime présumée" et du "coupable présumé"<br /> Aujourd'hui, je me pose plutôt les questions suivantes: Les victimes sont-ells bien protégés? Le contrôle judiciaire est-il efficace? Que faire pour mieux aider les délinquants, en particulier les<br /> plus jeunes, à se réinsérer dans la société...<br /> <br /> <br />
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